Rencontre
La paysanne vaudoise raconte la vie à la ferme sur TikTok

Depuis la pandémie, l’ex-étudiante en journalisme Laure Treboux documente le quotidien de ses proches, à Bassins (VD). Suivie par 10000 personnes, cette mère de famille aborde avec humour les difficultés et tabous du monde agricole.

La paysanne vaudoise raconte la vie à la ferme sur TikTok

«Quand t’as trois enfants, des petits veaux à nourrir, que tu ne sais pas danser, mais que c’est le moment pour une vidéo!» L’un des premiers posts de Laure Treboux sur le réseau social TikTok, en avril 2020, a rassemblé plusieurs milliers de vues. Quelques jours plus tard, cette paysanne publiait une série de petits films humoristiques et musicaux illustrant les bons et moins bons côtés de la vie à la ferme en temps de confinement. Une fraîcheur et une sincérité bienvenues, qui avaient séduit de nombreux internautes de Suisse et de France. Un an et demi plus tard, la jeune femme continue d’alimenter quotidiennement son compte et est désormais suivie par près de 10 000 personnes. «Au début, je faisais ça pour rire. Puis j’ai eu envie de montrer la réalité du monde agricole et de briser les tabous dans ce milieu où l’on parle peu. Aujourd’hui, une véritable communauté s’est créée!» se félicite-t-elle en nous accueillant sur l’exploitation de Bassins (VD), où elle vit avec son mari et sa belle-famille depuis dix ans.

 

De la ville à la campagne

Rien ne prédestinait pourtant cette citadine originaire de Nyon (VD) à habiter dans une ferme. Née de parents travaillant dans les transports et l’administration, elle souhaitait d’abord devenir professeure de sport. «Mais je me suis blessé les ligaments croisés et j’ai dû changer de plan», raconte-t-elle en nous invitant à entrer dans l’appartement jouxtant l’étable, qu’elle partage avec son compagnon Nathan, rencontré à l’adolescence. Après un voyage au Canada, elle suit des études de journalisme à Genève, enchaîne les stages, puis intègre l’équipe de communication du Service des sports de la Ville de Lausanne. «Après la naissance de mes deux premiers enfants, j’ai démissionné pour m’investir davantage sur l’exploitation, même si je n’y connaissais pas grand-chose, sourit-elle. Ce métier utile et concret m’attirait. J’avais envie qu’ils grandissent dans cet univers.»

Justement, ce matin, la petite Lain, 2 ans, s’amuse dans le jardin. Les plus grands, Maeli et Kaya, sont à l’école. Dans l’étable, les beaux-parents s’occupent du bétail, en compagnie de leur fils. «Moi, j’aide parfois avec les veaux, les lapins, les poules et le potager. Et je suis toujours là quand il faut donner un coup de main», lance la Vaudoise de 31 ans en installant l’enfant sur ses genoux. Mais en mars 2020, la pandémie survient et cet équilibre est chamboulé. «C’était une période très étrange. D’un côté, nous avions énormément de travail et de reconnaissance. De l’autre, il y avait beaucoup d’incivilités dans les campagnes. J’ai eu envie d’en parler sur les réseaux sociaux, afin de sensibiliser la population et de valoriser notre travail.»

 

Humaniser l’agriculture

Son choix se porte sur TikTok, «un média simple qui laisse place à l’autodérision et la spontanéité, résume-t-elle. Ici, contrairement à Instagram, il y a peu de filtres destinés à embellir les images. C’est important, car les gens ont tendance à idéaliser le monde agricole.» En plus de partager les bons moments passés en famille avec les animaux et à l’alpage, Laure Treboux met en scène les difficultés de vivre dans une ferme, avec comme protagonistes ses beaux-parents, son mari et ses enfants, qui apparaissent souvent à l’écran. Quotidien surchargé, pression constante, revenus variables, risque d’accident au travail, mort du bétail: tous les sujets sensibles sont abordés grâce à des sketchs et des blagues, «pour dédramatiser». Sans oublier la thématique des conflits générationnels qui naissent souvent au sein des familles. «Dans une exploitation, la vie privée et le travail ne font qu’un, ce qui génère des tensions. Il y a des engueulades, des cris, parfois des pleurs. Il est important d’en parler, car la plupart des paysans sont concernés.» Un franc-parler qui a touché ses abonnés, qui ont témoigné à leur tour dans les commentaires. «De jeunes couples d’agriculteurs m’ont dit que cela leur donnait du courage pour la suite. C’était un beau compliment.»

En plus de parler de son quotidien de jeune maman, la trentenaire évoque régulièrement son état de santé. Atteinte d’une maladie auto-immune rare, elle doit suivre un traitement lourd, qu’elle documente dans ses vidéos. «Je voulais montrer qu’on a tous des problèmes qui ne se voient pas forcément au premier regard. Cela participe à humaniser l’agriculture et à dévoiler ceux qui se cachent derrière les produits que nous consommons, dit-elle sobrement. J’avais peur que les gens me jugent, mais finalement, j’ai reçu beaucoup de bienveillance.» À tel point qu’un abonné lui a récemment demandé un autographe au marché de Bassins. «Cela m’a beaucoup surprise! Tout va très vite sur les réseaux sociaux», s’étonne-t-elle en riant.

 

Créer un lieu durable

Bien décidée à «agir au lieu de râler», Laure Treboux est même devenue membre du Conseil communal de son village, cet été. «J’aimerais organiser des événements, des rencontres entre habitants et des découvertes d’alpages avec les enfants», expose la paysanne aux mille idées. D’ici quelques années, elle souhaiterait aussi s’engager davantage sur le domaine familial, en créant un magasin en vente directe, en proposant des animations sur place, mais surtout, en accueillant du monde à la ferme. Pour pouvoir échanger, enfin, en chair et en os.

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Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre/Lundi13