Les sols ne sont pas morts et les agriculteurs peuvent les faire vivre

Après cinq ans d’une démarche participative réunissant chercheurs et praticiens, le projet Progrès Sol fait le bilan. Et montre que les paysans ont besoin d’outils pratiques autant que de connaissances exploitables.
29 septembre 2022 Blaise Guignard
Blaise Guignard

«Le sol est complexe», pose d’emblée Raphaël Charles, chercheur à l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) et l’un des porteurs de Progrès Sol. Le projet mettait mi-septembre un point (sans doute pas final) à cinq ans d’exploration de la question, menée par un groupe d’agriculteurs vaudois, encadrée par le FiBL, ProConseil et le Canton de Vaud. Cette complexité a été mise au jour il y a quelques années déjà par le Programme de recherche PNR 68, relève le scientifique. «Mais les propositions qui en sont sorties étaient loin, très loin du terrain. Progrès Sol vise donc à mettre entre les mains des praticiens des outils utilisables en matière de diagnostic, d’analyse et d’actions concrètes à entreprendre.»

Parmi les 42 agriculteurs qui se sont ainsi constitués en réseau de partage et de recherche, plusieurs étaient déjà très engagés dans cette démarche, précise-t-il. Ce modèle bottom-up, où les connaissances remontent aux théoriciens, a permis d’affiner plusieurs outils de diagnostic. À commencer par le test à la bêche. «En utilisant un chargeur frontal plutôt qu’un outil manuel pour extraire une tranche de sol et ainsi pouvoir l’observer en détail, on met dans les mains des paysans un instrument qui tient compte de leur charge de travail quotidienne», souligne Raphaël Charles. «Pratique, facile et riche d’enseignement! Je devrais le faire plus souvent», saluait de fait un des participants lors de la journée de terrain qui clôturait le projet.

Autres exemples: développé aux États-Unis, l’indicateur de perturbation du sol par les outils mécaniques STIR a été recalibré en fonction du parc de machines agricoles suisse; un calculateur en ligne, disponible sur progres-sol.ch, permet désormais d’évaluer l’impact des différentes interventions culturales. Idem en termes de compaction des sols avec terranimo.ch, où l’utilisateur introduit ses données – tonnage des engins, pression des pneus, type du sol, etc.

«En un clic, on obtient une évaluation du risque de compaction du travail projeté ainsi que du tassement global de toute la surface exploitée, résume Léonard Capt, maraîcher au Mont-sur-Lausanne. On s’est d’ailleurs aperçu que le gonflage est déterminant jusqu’à 20 centimètres de profondeur, la masse globale l’étant au-delà. Or, c’est dans cette couche inférieure que se trouvent les nutriments et les réserves hydriques, et c’est la plus difficile à amener à résilience lorsqu’elle est atteinte.»

Remise en question

La richesse des enseignements de Progrès Sol ne se limite pas à ces deux exemples. Et incidemment, le projet tord le cou à une idée reçue, note Raphaël Charles: «Les sols suisses sont certes menacés par la compaction, l’érosion ou encore la perte de matière organique, mais ils ne sont pas morts!» Le chercheur glisse au passage un constat surprenant: «Les analyses montrent des teneurs en phosphore plus que satisfaisantes. On s’en doutait, mais la mise en réseau des analyses l’a confirmé.»

Ce projet n’a toutefois pas fait que conforter les scientifiques dans leur rôle, au contraire. «Pour les questions de biologie du sol, nos méthodes se sont révélées inapplicables en pratique. Ce qui nous pousse à suggérer aux laboratoires de les ajouter à leur panel de prestations aux agriculteurs.» Plus généralement, le hiatus entre connaissances et solutions, évoqué plus haut, est apparu au grand jour – et doit amener chercheurs et praticiens à une bonne remise en question de leurs habitudes. «Pour nous, il s’agit de mieux traduire les connaissances acquises en une terminologie accessible, pose le scientifique. Et pour eux, de développer leurs propres solutions en allant chercher les notions et les experts, et in fine, de mettre en place des projets autonomes pour lesquels ils vont demander des financements publics.»

Un rôle spécifique à jouer

En plus de déboucher sur une nouvelle campagne d’analyses visant à quantifier l’évolution des sols, à laquelle 34 des 42 agriculteurs du projet se sont déjà inscrits, Progrès Sol pourrait aboutir à la formation d’associations de praticiens partageant leur socle de connaissances (de façon rémunératrice). «En France, où la vulgarisation est moins présente, c’est un modèle assez fréquent. Et chez nous, le GIREB (Groupe indépendant recherche expertise bio) fonctionne sur ce principe.»

La réactivité de ce genre de structures parle en sa faveur, fait remarquer Stéphane Deytard. Le paysan de Suchy (VD), très engagé à la fois dans la voie du bio et celle de la préservation des sols, réfléchit à ouvrir une section romande de Regenerativ Schweiz, association bien implantée en Suisse alémanique. Des documents écrits et audiovisuels, des conférences et des activités de conseil seraient mis à disposition contre une contribution annuelle. «On ne veut pas court-circuiter la vulgarisation, et il serait souhaitable que celle-ci s’associe à cette démarche ou à d’autres, similaires. Mais nous pouvons jouer un rôle spécifique en tant qu’acteurs de terrain, en proposant en outre des notions encore trop expérimentales pour être vulgarisées officiellement», précise-t-il. «On a un socle solide pour créer des réseaux et continuer à soutenir l’évolution des sols vers la vie et la résilience», conclut Raphaël Charles.

Progrès sol

Il s’agit d’un projet vaudois participatif sur 5 ans lancé en 2017, visant à évaluer la fertilité des sols agricoles, créer un réseau de professionnels autour de la question, mettre à disposition des outils pratiques et développer le conseil.

Conduite du projet: FiBL, ProConseil.

Financement: Direction générale de l’agriculture DGAV, Direction générale de l’environnement DGE, FiBL, ProConseil.

Participants: 42 agriculteurs répartis en 8 groupes d’intérêts thématiques.

+ d’infos
www.progres-sol.ch

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