Les néovignerons bousculent le monde du vin
Entre les immeubles et la voie ferrée, une dizaine de silhouettes progressent dans les rangs d’une petite parcelle de vigne, en pleine ville de Montreux (VD). Parmi cette équipe de travailleurs, un seul point commun: pas un seul d’entre eux n’est issu du monde de la viticulture. Au sein de cette association, baptisée Amicale viticole du col de Onsla, les profils vont de la créatrice de textiles au consultant en management, en passant par le coursier à vélo, le spécialiste en gestion de placement, la cuisinière ou les étudiants en droit et en relations internationales.
Pourtant, depuis quelques mois, ils exploitent 2000m2 de pinot noir, mondeuse, syrah et gamaret. «Ce qui nous motive? Passer du temps dehors, dit Stéphanie Bircher en coiffant son chapeau de paille. S’affranchir pour un temps des contraintes du bureau, des horaires. Etre dans le concret, mettre les mains dans la terre.»
Des attentes modestes
Stéphanie Bircher et ses amis ont entre 25 et 35 ans, et incarnent ce qui pourrait bien être une nouvelle tendance: après les néopaysans, ces citadins en mal de grand air qui, depuis une dizaine d’années, reprennent des domaines agricoles, ce type de reconversion professionnelle touche la viticulture. En parallèle à l’exemple montreusien, une poignée d’initiatives comparables ont vu le jour sur la Riviera vaudoise dans les derniers mois.
Outre une volonté de se reconnecter au rythme des saisons et au terroir local, ces néophytes entendent participer à une réinvention de la viticulture suisse, en explorant des pistes inédites: constitution de collectifs, usage du financement participatif pour acquérir du matériel, maîtrise des réseaux sociaux, mélange des genres entre production agricole et arts, ces nouveaux artisans portent un regard décomplexé sur une pratique ancestrale.
Parcelle cherche vigneron
S’il est diicile de trouver un domainelorsque l’on n’est pas issu du mondeagricole, la vigne fait igure d’exception àla règle: l’évolution du marché, qui voitde grandes maisons se retirer aprèsavoir longtemps loué des parcelles à despropriétaires privés, laisse un nombreimportant de vignes sur le carreau.Autant de chances à saisir pour lesnéovignerons, qui ne recherchent pas degrandes surfaces: ils cultivent pour laplupart de petites parcelles qui leur sontconiées contre bons soins.
Ne pas se mettre la pression
«Notre chance, c’est que la vigne n’est pas notre activité principale, souligne Théo Fischer, instigateur du projet de Montreux. On n’a pas de pression, ni de prétentions, ce qui nous donne une belle latitude d’expérimentation aussi bien dans la vinification que dans la gestion de la culture.» En termes de technique, justement, il y a une constante chez les néovignerons: ils placent la dimension environnementale en tête de leurs priorités.
C’est également le cas pour Rémy Jourdy, qui vient de se voir confier une parcelle de 450 m2 de chasselas à Grandvaux (VD). Issu du monde de la restauration, il se forme sur le tas depuis deux ans, notamment auprès de Gilles Wannaz. «Ma démarche repose sur les principes de la biodynamie, explique Rémy Jourdy. Je veux travailler comme un vigneron-paysan, en recréant une diversité végétale et en travaillant autant que possible avec des tisanes de plantes ou des traitements naturels.»
Un terreau fertile
Mais peut-on se lancer dans la viticulture sans être issu du sérail? Chez les professionnels, les avis divergent. «Le plus délicat, à la vigne, est d’assurer la pérennité de la culture, estime Conrad Briguet, directeur de la haute école d’œnologie de Changins (VD). La moindre erreur se répercutera sur les récoltes suivantes, parfois pour 3 ou 4 ans. Par ailleurs, le processus est long: de la vigne à la bouteille, il faut compter au moins un an, et si le résultat n’est pas à la hauteur, cela peut vite être décourageant.»
Chez les pionniers romands de la viticulture biodynamique, c’est un autre son de cloche. «On a de la chance de les avoir, ces jeunes!» Pour Jean-Christophe Piccard, aux commandes du domaine du même nom, dans le Lavaux, le regard décomplexé des néovignerons a tout pour redynamiser un secteur plutôt traditionnel. «C’est passionnant de voir ces jeunes femmes et hommes, souvent issus de hautes écoles et très cultivés, prêts à se salir les mains par passion pour la vigne. Ils n’ont pas peur de sortir du cadre et d’aborder cette culture avec modestie, mais aussi avec des principes clairs: créer de la valeur localement, privilégier des méthodes écologiques, travailler de manière collective…» Le Vaudois connaît plusieurs de ces néovignerons, lui qui joue volontiers les mentors, partage ses secrets de culture et ses traitements naturels.
Transformer l’essai
D’après Jean-Christophe Piccard, ce n’est pas un hasard si cette tendance naît aujourd’hui. «La viticulture, comme l’agriculture dans son ensemble, ne va pas très bien. Les grandes maisons, qui louaient jusqu’ici des parcelles de vigne à de nombreux petits propriétaires, se retirent. Le contexte présente de vraies opportunités pour des néophytes qui souhaitent se lancer.» Le marché aussi est favorable, avec des enseignes spécialisées dans les vinifications nature et les productions confidentielles qui jouent les traits d’union entre les artisans et une clientèle friande de découvertes (lire l’encadré ci-dessous).
Avant de penser à vendre leur vin, il reste encore aux néovignerons vaudois à le produire. Du côté de Montreux, la situation est tendue: «La récolte sera bien inférieure à ce que nous avions imaginé à cause des conditions météorologiques de l’été, détaille Stéphanie Bircher. On a trouvé un pressoir et des cuves, mais on cherche encore une cave où vinifier.» À Grandvaux, Rémy Jourdy, lui, est fin prêt: une amphore enterrée entre deux lignes de vigne attend sa récolte, qu’il transformera selon une approche inspirée des vins géorgiens. «S’il le produit final ne me plaît pas, je ne le commercialiserai pas, dit-il. Je me laisse le temps de faire des tests pour arriver à un vin de qualité, sans me poser de question sur la rentabilité immédiate de mon travail. La poésie, cela compte aussi!»
Questions à... Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion
Quelques exemples de vignerons autodidactes apparaissent en
Suisse romande. Peut-on parler d’une tendance?
Il est un peu tôt pour le dire, d’autant que nos statistiques ne mentionnent pas si un vigneron est issu d’un cursus standard ou non. Mais cela s’inscrit clairement dans une évolution de la profession en Suisse: la progression du bio montre que les acteurs de la branche cherchent de nouvelles voies.
Des jeunes, souvent citadins, qui se lancent: un signe encourageant, non?
Oui. Ce sont des gens qui nourrissent une vraie passion pour la vigne et je trouve cela remarquable. Un autodidacte bien renseigné, qui sait s’entourer lorsqu’il a des questions, peut tout à fait se faire une place dans ce monde.
Et le marché suisse, est-il prêt pour cette offre?
Il y a clairement une opportunité pour des produits qui sortent du cadre: les vins nature, vers lesquels s’orientent la plupart des néovignerons, rencontrent du succès auprès d’un public qui ne s’intéressait pas forcément aux crus traditionnels. Actuellement, la plupart des vins nature consommés en Suisse sont français. Tant mieux si une ofre locale vient compléter la carte!
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