Des rizières suisses pour préserver la biodiversité des marais
Au milieu du hangar, éclairées par les néons d’un moulin importé du Brésil, deux silhouettes remplissent des dizaines de sachets. Le vacarme incessant du décortiqueur rend vaine toute velléité de conversation. Un regard suffit pourtant à renseigner sur le caractère atypique pour la Suisse de la céréale en cours de conditionnement. La famille Guillod cultive en effet du riz originaire d’Italie et du Japon dans la région des Trois-Lacs.
Depuis la première plantation, en 2019, sur 0,3 hectare, de l’eau a coulé dans leur rizière. Désormais, Léandre et Maxime Guillod s’occupent de 11 hectares pour une trentaine de tonnes récoltée en 2023. Un succès fulgurant. «Nous y sommes venus par hasard, grâce à un partenariat avec Agroscope pour valoriser nos parcelles et promouvoir la biodiversité», expliquent les deux frères.
Espace prisé par la faune
L’écosystème des marais du pays subissant une forte pression, les cultures qui tolèrent un excès d’eau sont alors bienvenues pour restaurer un milieu propice à la vie en zone humide. Les frères Guillod travaillent en partenariat avec des organismes de protection de la nature, afin de mettre en place des structures favorisant les espèces menacées sur leurs parcelles. «L’augmentation de la biodiversité a été flagrante. Le vanneau huppé, en danger, vient nicher dans nos rizières. Et le soir, on entend même les rainettes chanter», s’enthousiasme Léandre Guillod.
La saison commence mi-avril. Les plants poussent en serre puis les plantations s’effectuent lors des deux dernières semaines de mai. «Ce sont les températures qui déterminent la date exacte. Idéalement, il faudrait que l’eau dépasse les 20°C», précise Léandre Guillod.
En dessous de 15°C, le riz ne s’enracine pas, ce qui rend la culture vulnérable aux aléas météorologiques. Le mois de juin est une période critique; le niveau d’eau, pompé dans le canal de la Broye, est augmenté au fur et à mesure de la pousse, jusqu’à atteindre environ 15 cm.
Les producteurs
Issus d’une tradition familiale de culture maraîchère, Léandre et Maxime Guillod Guillod ont repris l’exploitation de leurs parents. Spécialisés dans la culture de doucette, ils décident en 2014 de développer une technique de nivelage de précision en trois étapes: scraper.ch. Elle leur ouvre les portes de la riziculture, dans une optique d’optimisation des rendements alliée à la préservation des zones humides, ainsi qu’à la protection de la biodiversité. Les frères Guillod ont à cœur de favoriser les filières locales et les petits commerces.
Travail manuel
À partir de la mi-juin, place au désherbage manuel. Début août, le pompage est interrompu; l’eau s’évapore ou s’infiltre alors que le riz entre en floraison et se fertilise lui-même. Entre fin septembre et mi-octobre, la récolte bat son plein. Puis vient le séchage: de 20% d’humidité, le grain est amené à 12 ou 13% pour pouvoir être conservé. «Nous avons ajouté une étape non obligatoire, mais pouvant réduire le risque de mauvaise surprise: le traitement du riz au CO2 alimentaire, pendant un mois, pour le débarrasser des insectes et des mites alimentaires», complète Léandre Guillod.
Comme tout le reste de la chaîne de production, cette technique est biologique. Début novembre, le riz est travaillé au moulin en trois étapes, ce qui lui fait perdre environ 30 à 40% de son poids. La mise en sachet, manuelle, est effectuée tout au long de l’hiver. «Les Japonais, qui sont très pointilleux sur le goût et la qualité, ne mangent que du riz de quelques semaines. Ils sont notre source d’inspiration.»
Tampon thermique
La culture du riz pose plusieurs défis. Cette céréale a besoin de conditions climatiques qui sont théoriquement peu optimales sous nos latitudes. La solution passe par une pratique bien connue dans les pays d’Asie: l’inondation des cultures.
«L’eau joue un rôle de tampon thermique; elle va rapidement devenir chaude dès qu’il y a un peu d’ensoleillement, et garder son inertie durant la nuit. Cultiver du riz à sec au nord des Alpes ne fonctionne pas», assure le riziculteur fribourgeois.
Le choix des variétés est également décisif: certaines sont plus précoces, plus résistantes et tolérantes aux périodes fraîches. Avec le repiquage de leurs plants, les agriculteurs gagnent en précocité et arrivent ainsi à lutter contre le deuxième défi qu’ils rencontrent: la gestion de la mauvaise herbe.
Belle reconnaissance
«L’autre avantage d’une culture inondée, c’est que la plupart des adventices n’y survivent pas», se félicite Léandre Guillod. À l’exception notable du panic pied-de-coq. Avec le repiquage du riz dans les champs inondés après préparation du sol, les agriculteurs limitent la propagation de la graminée. Mais ils n’évitent pas le désherbage manuel. «Il faut maintenir le niveau d’eau jusqu’à ce que le riz soit assez grand pour ne plus être concurrencé.»
La famille Guillod propose cinq variétés de riz, dont chacune à son utilisation spécifique. Le loto, très adapté aux conditions du Vully et polyvalent en cuisine, est cultivé sur la moitié de la surface. Il est accompagné du baldo (typique risotto), de l’ebano (riz noir complet), du jasmin (long et parfumé), et du nana (japonais, un peu élastique). «Notre riz est plus cher, mais il est durable: écologiquement, socialement et économiquement. Il a une histoire.»
Une céréale plusieurs fois millénaire
Le riz, cultivé depuis 10 000 ans, tout d’abord en Asie, puis très tardivement en Europe (XXe siècle), se décline en plus de 2000 variétés différentes, dont 360 sur notre continent. Aliment de base des populations d’Asie et d’Inde, le riz est une céréale sans gluten. Riche en fibres et en antioxydants, il est une source de manganèse, de sélénium, de phosphore, de magnésium et de vitamines du groupe B, et contient de petites quantités de cuivre, de zinc et de fer. Contrairement à une croyance populaire, le riz ne constipe pas, mais aiderait à réguler le transit à condition d’être consommé complet, pour profiter des bienfaits de ses fibres.
+ d’infos www.rizduvully.ch
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