L'étrange lait de loup déploie ses coussinets en automne

Ni plante ni champignon, ce myxomycète rampe sur du bois mort pour se nourrir. Remplies d'un liquide visqueux, ses fructifications colorées se transforment en poudre, afin de se disperser avant l'hiver.
21 septembre 2025 Lila Erard
© Juan Carlos Zamora

Le drôle de nom de Lycogala epidendrum dérive du mot grec lycos (loup) et gala (lait), en référence au liquide visqueux à l’intérieur de ses coussinets, dont la couleur corail rappelle l’animal symboliquement sanguinaire. Vous avez peut-être déjà observé cette espèce sur du bois mort en vous promenant dans les bois en été ou en automne, quelques jours après la pluie.

«Elle apparaît aussi en ville, à condition qu’il y ait des vieux troncs ou des branches assez grosses tombées au sol. Les promeneurs sont toujours très surpris par sa présence et son étonnante apparence. Pourtant, son existence est attestée depuis au moins le XVIIe siècle dans l’hémisphère nord, sous des noms différents», explique Juan Carlos Zamora, conservateur aux Conservatoire et Jardin botaniques de Genève, qui compte une des plus grandes collections au monde de myxomycètes, avec plus de 50 000 échantillons.

Ni dangereux ni comestible

Sans odeur ni saveur particulière, le lait de loup – appelé aussi lycogale rose – n’est pas dangereux pour les animaux ni pour les autres plantes. Toutefois, il peut être confondu avec des champignons à la forme semblable, comme l’hypoxylon, composé de boules rougeâtres ou noirâtres, qui se nourrit de la lignine de bois en décomposition. «Pour les différencier, il suffit de les toucher. L’hypoxylon est beaucoup plus dur et solide», souligne le conservateur.

Enfin, le lait de loup n’est pas comestible, à l’image de la quasi-totalité des myxomycètes. Seul un contre-exemple subsiste à ce jour. «Il semblerait que le Reticularia lycoperdon à l’état juvénile ait été utilisé autrefois comme nourriture d’appoint par les indigènes du Mexique, mais il n’existe pas beaucoup d’informations à ce sujet», détaille Juan Carlos Zamora.

Grâce à l’humidité

Le lait de loup n’est ni un champignon, ni une plante, ni un animal, mais un organisme unicellulaire du groupe des protistes. Curieux, son développement passe par plusieurs stades morphologiques. Quand la météo devient humide, les spores germent et forment des amibes microscopiques qui se déplacent pour se nourrir de micro-organismes issus du bois en décomposition. Puis elles fusionnent pour former le plasmodium, une masse de couleur variable et souvent visible à l’œil nu, qui rampe de quelques millimètres par heure, laissant autour d’elle un tracé blanchâtre rappelant celui des limaces.

«À ce moment-là, on ne le voit toujours pas encore car il se cache dans le bois», précise le spécialiste. Apparaissent finalement ses fructifications caractéristiques (aethalia), semblables à des coussinets rose orangé mesurant 3 à 15 mm, comme couverts de minuscules écailles.

Des êtres unicellulaires

Si Lycogala epidendrum est l’une des espèces de myxomycète les plus connues – car très voyante –, une cinquantaine du genre Lycogala sont recensées à ce jour. Parmi elles, on peut citer L. flavofuscum, L. exiguum, aussi présents sur du bois mort, ainsi que L. caviaroides.

«La connaissance de ces différents types est très récente. Il y a quelques années, les biologistes n’avaient comptabilisé qu’une dizaine d’espèces. Cela montre qu’il y a encore beaucoup de choses à découvrir sur ces organismes méconnus.» Dans les autres myxomycètes célèbres, citons Physarum polycephalum, ou blob, une masse jaune gélatineuse qui fascine par sa capacité à optimiser ses déplacements, se rappeler d’expériences passées et communiquer, sans être doté de cerveau.

Curieux mode de multiplication

Lorsqu’ils sont jeunes, ces aethalia sont remplis d’un liquide visqueux. «À ce stade, il suffit d’effectuer une légère pression du doigt pour le faire sortir», expose Juan Carlos Zamora. Au bout de quelques jours de maturation, les aethalia se solidifient et changent de couleur, pour tirer vers le brun-gris. L’intérieur se transforme alors en une masse poudreuse composée d’une myriade de spores minuscules. Autour, la surface s’amincit et se dessèche, à tel point que le moindre choc, ou le vent, provoque la dispersion de ces cellules reproductives.

«Ce mode de multiplication ressemble beaucoup à celui de certains champignons, comme la vesse-de-loup. Il est d’autant plus fréquent en automne, car l’espèce se multiplie un maximum avant la saison froide.» En hiver, ces spores résistantes rentrent en état de dormance, mais restent présentes en nombre dans les forêts.

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