Le long voyage de la Belle-Dame, un papillon migrateur hors normes
Pauses au soleil
Véritable feu follet virevoltant au-dessus des prairies durant les chaudes journées d’été, la Belle Dame (Vanessa cardui) porte bien son nom. Avec des ailes d’un bel orange maculé de blanc et de noir, elle prend une allure frivole lorsqu’elle passe rapidement d’une fleur à l’autre de son vol nerveux. Elle s’accorde aussi des pauses, au sol, ailes étalées à rassasier son corps de chaleur. Elle choisit volontiers les chemins de terre pour ce faire, terrains sur lesquels elle passe assez curieusement inaperçue malgré ses couleurs. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’elle surprenne le promeneur en s’envolant à la dernière seconde juste devant ses pieds. Pour se reposer très vite quelques mètres plus loin. Bien que plus discret, le revers de ses ailes arbore de splendides ocelles irisés.
Vanessa cardui ne passe pas la saison froide chez nous à l’état d’œuf, de chenille ou de chrysalide comme le font la plupart de nos papillons de jour, elle migre dès la fin de l’été. Environ 10% de nos espèces indigènes le font. Une stratégie qui permet de trouver en différents endroits les bonnes conditions pour faire l’ensemble de leur cycle biologique. «Les invasions de Belles Dames ont lieu en Suisse au mois de mai et sont le fruit d’un cumul de bons succès reproducteurs en Afrique et dans le sud de l’Europe.», explique Michel Baudraz, ingénieur EPFL, directeur de l’Association de la Grande Cariçaie.
Si la Belle Dame est admirable par ses couleurs, elle l’est tout autant pour son endurance, souligne ce spécialiste des lépidoptères, fasciné par l’impressionnant périple de l’espèce. «La Belle Dame détient le record de la plus longue migration connue chez les insectes, dépassant même celle du célèbre monarque nord-américain. Sa stratégie est de se reproduire en continu, en exploitant successivement différents milieux naturels entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. La migration de la Belle Dame est donc un phénomène multigénérationnel et aucun individu ne réalise l’intégralité du trajet aller-retour.» Le cycle annuel comprend généralement 5 à 6 générations et chacune d’elles accomplit une partie du parcours.
Un coup de pouce d’Éole
Insectes fragiles, les papillons migrateurs doivent tenir compte des conditions météorologiques pour entamer leur voyage. Leur migration diurne dépend du vent. «Par vent de face, les Belles Dames migrent à environ un mètre du sol. Par vent arrière, elles montent dans le ciel de plusieurs centaines de mètres. Elles migrent seules mais les conditions météo, l’abondance de nourriture et la géographie font qu’elles se retrouvent ensemble. Bloquées par le Sahara et les rives de la Méditerranée, elles attendent de bonnes conditions pour les traverser. Ne pouvant se poser sur l’eau, il arrive qu’elles soient contraintes de voler la nuit», précise le scientifique. Par vent arrière de 30 à 50 km/h l’espèce est capable de parcourir plusieurs centaines de kilomètres chaque jour.
Le réchauffement, et alors?
Quid du changement climatique? «La capacité de la Belle Dame à s’adapter à des environnements variés et à synchroniser sa reproduction avec la disponibilité des ressources en fait une espèce qui pourra probablement assez bien s’adapter aux changements climatiques. Ce sera certainement plus facile pour elle que pour d’autres espèces sédentaires dont il ne subsiste aujourd’hui que des populations isolées», conclut Michel Baudraz.
Des pattes pour se brosser
Un enfant admirant des Belles-Dames dans une prairie pourrait s’amuser à prendre ses parents en défaut en s’exclamant «Vous m’avez bien dit que les insectes ont toujours six pattes? Eh bien, ces papillons-là n’en ont que quatre pour marcher!» Remarque pertinente, juste et fausse à la fois. La Belle Dame fait effectivement partie d’une famille de papillons un peu à part, celle des Nymphalidés, la plus importante au monde pour les papillons diurnes (6150 espèces). Sa particularité: une transformation de la première paire de pattes. Inutilisables pour la marche, ces organes modifiés auraient différentes fonctions. Velues, elles serviraient de brosse pour le toilettage, d’organes de détection de nourriture. Elles seraient également utilisées par les mâles lors de la reproduction.
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