Blessés ou cabossés, les vieux arbres ont un rôle à jouer
Ils sont abîmés, âgés, difformes, anormalement grands ou même morts. En forêt, difficile de ne pas les remarquer. Longtemps considérés comme encombrants et peu rentables, ces arbres font aujourd’hui l’objet d’une attention toute particulière. C’est que leur forme imposante et leur silhouette inhabituelle favorisent le développement de petits biotopes indispensables à de nombreuses espèces d’animaux, plantes, lichens et champignons parfois très spécialisés, qui les choisissent comme lieux de repos, d’hibernation ou de reproduction.
Leur nom: les dendromicrohabitats. Si ces milieux naturels sont reconnus depuis plus de vingt ans par les scientifiques, une typologie détaillée de leurs formes et caractéristiques a récemment été publiée par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), dans un guide de poche à destination des propriétaires et gestionnaires forestiers. «Notre but est de faciliter l’accès à ces informations pour les acteurs directement concernés sur le terrain. Ils peuvent ainsi connaître la vraie valeur écologique de leurs arbres et prendre des mesures pour les protéger», explique Rita Bütler Sauvain, collaboratrice scientifique au WSL et coauteure de l’étude.
Refuge pour la biodiversité
Durant plusieurs années, la spécialiste et son équipe se sont rendus aux quatre coins de l’Europe pour compléter leur base de données et photographier certains spécimens remarquables. Quelque 47 types de dendromicrohabitats ont ainsi été observés et regroupés en sept formes distinctes, facilement identifiables: les cavités, les blessures, les excroissances, le bois mort, les champignons, les structures épiphytiques, comme la mousse ou le lierre, ainsi que les exsudats, tels que les coulées de sève (voir l’encadré ci-dessous). Plus ou moins rares, ces structures se sont formées à la suite de divers phénomènes naturels, en des laps de temps très variés.
«Par exemple, quelques secondes suffisent à la création d’une fente par la foudre, alors que plusieurs dizaines d’années sont nécessaires à la formation d’une grande cavité. Une chute de neige lourde, un incendie, un éboulement ou le martèlement régulier d’un pic peuvent aussi avoir un impact.» Sans surprise, ces lieux de vie sont plus nombreux dans les forêts naturelles qu’ailleurs. En Suisse, 12% des arbres situés dans des forêts exemptes d’intervention humaine depuis au moins trente ans sont porteurs de deux dendromicrohabitats au minimum, contre seulement 5% dans celles exploitées par l’homme.
«Il est donc primordial de conserver les arbres-habitats déjà présents et d’en recruter régulièrement de nouveaux, afin de renouveler le stock», expose Thibault Lachat, professeur d’écologie forestière à la Haute École des sciences agronomiques, forestières et alimentaires et coauteur de l’étude. Particulièrement précieux, les arbres âgés avec un diamètre de plus de 60 centimètres – généralement des feuillus – peuvent porter jusqu’à quatre microhabitats. Temporaires et évolutifs, ces derniers accueillent des centaines d’espèces tout au long de leur existence, en fonction du stade de décomposition du bois. «Ces organismes favorisent le maintien de la biodiversité et jouent un rôle important dans l’équilibre de notre écosystème. Nous devons les maintenir.»
Une application pour les recenser
Il n’existe actuellement pas de recensement national des arbres-habitats en Suisse, mais l’application HapiApp espère y remédier. Disponible gratuitement depuis janvier sur Google Play, elle permet aux gestionnaires forestiers de géolocaliser ces spécimens, les photographier et renseigner le type de microhabitats qui s’y trouvent. Ces données sont ensuite envoyées aux cantons, qui se chargent de contacter les propriétaires et les inviter à protéger ces arbres. «Ces derniers peuvent ensuite décider de mettre ces arbres sous contrat, ce qui garantira leur maintien sur le long terme», explique Thibault Lachat, l’un des créateurs de l’application.
Vaud, canton précurseur
En Suisse, le canton de Vaud fait office de pionnier dans la protection de ces précieux végétaux. Depuis 2012, une subvention par arbre-habitat est attribuée aux propriétaires qui s’engagent à les conserver et à ne pas les utiliser pour produire du bois ou de l’énergie. Ces huit dernières années, près de 15 000 spécimens ont ainsi été recensés sur environ 100 000 hectares de forêt, et sont désormais reconnaissables par un H marqué sur le tronc.
En 2016, l’Office fédéral de l’environnement a généralisé la pratique, en visant un minimum de trois à cinq arbres-habitats par hectare à l’horizon 2030. Un chiffre ambitieux, mais atteignable sur le long terme, selon Anne-Mickaëlle Golay, responsable de la biodiversité en forêt pour le canton de Vaud.
«Nous observons une hausse constante du nombre d’arbres mis sous contrat chaque année, ce qui est encourageant.» Si de nombreux forestiers étaient déjà sensibles à cette thématique, ils sont de plus en plus actifs, notamment grâce aux précieuses recherches scientifiques sur le sujet, assure-t-elle. «La protection de ces microsystèmes permettra, à terme, d’accroître la résistance de la forêt face aux perturbations climatiques et de protéger de nombreuses espèces clés. Nous allons dans la bonne direction.»
Quatre formes de dendromicrohabitats
La cavité à terreau
Rares en Suisse, ces trous sont le résultat d’un long processus de décomposition du bois. On y trouve un riche terreau qui attire des insectes menacés, comme le coléoptère pique-prune. Ces cavités servent aussi de lieux de gîte à des oiseaux, chauves-souris et chats sauvages.
La cime brisée
Cette blessure peut survenir à la suite de fortes rafales ou de chutes de neige. S’il paraît mal en point, cet arbre reste très précieux. À la cassure du tronc, le bois mort rencontre le bois vivant, ce qui forme un habitat indispensable à de rares insectes.
Le polypore pérenne
Pouvant rester accroché sur un arbre plusieurs décennies, ce champignon révèle une pourriture du bois parfois très avancée. Toutefois, il abrite plusieurs coléoptères utilisant chacun une partie bien précise de sa structure, la rendant particulièrement complexe.
Les lierres et lianes
Fréquentes en forêt, ces plantes ne sont pas un danger pour l’arbre, qui leur sert de support. Elles accueillent des nids d’oiseaux, comme ceux du merle noir. Le lierre produit aussi des fruits en hiver, permettant de nourrir certains animaux à un moment creux de l’année.
+ D’infos
www.arbre-habitat.ch
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