Portrait
Marie Mayerat, une exception féminine dans la maréchalerie

À 27 ans, cette Vaudoise est l’une des très rares femmes à exercer la profession de maréchal-ferrant. Elle nous raconte son métier, mais aussi son parcours, entre passion et obstination.

Marie Mayerat, une exception féminine dans la maréchalerie
On attendait une femme plutôt carrée d’épaules, les mains noircies par le travail de la forge. Pardon pour le cliché. Marie Mayerat nous accueille, silhouette athlétique, cheveux blonds relevés en chignon, les yeux bleus soulignés de noir. «Bienvenue, moi, c’est Marie», lance-t-elle dans un sourire avenant. Nous sommes à Formangueires, non loin de Belfaux, dans le canton de Fribourg, où la jeune femme ferre ce matin-là Cayenne, sa jument franches-montagnes de 10 ans. «Cela sera plus facile de discuter et de faire des photos avec mon cheval plutôt que chez un client», nous avait-elle proposé au téléphone au moment de fixer le rendez-vous. Sa camionnette grise est parquée devant le paddock de ce ranch flambant neuf spécialisé dans la monte américaine. À côté, deux équidés curieux observent la scène. Le reste du troupeau broute plus loin, dans l’immense pré qui borde le manège.

Le crossfit pour forger ses muscles
À 27 ans, Marie Mayerat est l’une des rares femmes à pratiquer la maréchalerie. Un métier encore majoritairement réservé aux hommes. Dans notre pays, elles ne sont que six à l’exercer sur près de 300 maréchaux-ferrants, nous précise AM Suisse, la faîtière de la profession. Dont Marie. Il y a cinq ans, cette Yverdonnoise aujourd’hui établie à Payerne (VD) s’est installée à son compte. Depuis, elle sillonne la région au volant de sa camionnette. Il lui a fallu jouer des coudes pour faire sa place. «Au début, certains clients se sont montrés un peu sceptiques, avant de constater que j’effectuais exactement le même travail qu’un homme», se souvient-elle.

L’indépendante a investi 10000 francs pour transformer son utilitaire en véhicule de maréchalerie. À l’intérieur, on y trouve un four à gaz, une meule, des marteaux, des pinces, des compas, des clous, une enclume montée sur un rail, petite astuce de Marie pour éviter d’avoir à la porter à bout de bras à chaque utilisation. Et des fers par dizaines, de toutes les tailles et de différents types. «Nous n’utilisons pas les mêmes pour un cheval de saut, de western ou un trotteur», explique l’artisane en sortant un fer rouge incandescent du four à 950 degrés. À l’aide d’une pince, elle le cale sur l’enclume avant de le frapper énergiquement avec son marteau pour l’ajuster exactement à la forme du sabot. Après deux ou trois rectifications, la maréchale-ferrante l’applique sur le pied antérieur gauche de Cayenne. Au contact du métal brûlant, le sabot dégage un nuage de fumée et une odeur de corne chauffée. Bon élève, le franches-montagnes ne bouge pas une oreille.

En l’observant pliée en deux, le sabot de sa jument calé entre ses deux jambes, à taper si fort sur ces clous, on se dit que le métier doit mettre le corps à rude épreuve. «Je pratique le crossfit pour me gainer et je fais attention à garder mon dos bien droit, même dans cette position.» Marie reconnaît toutefois que certaines fins de journée sont plus éprouvantes que d’autres. En moyenne, un ferrage complet lui demande un peu plus d’une heure. Elle enchaîne parfois jusqu’à quatre chevaux en une seule journée. Ce matin-là, elle en a fini avec Cayenne. Le temps de la ramener vers le troupeau et de ranger son matériel, elle nous propose un café à la buvette du ranch. L’occasion d’évoquer son parcours.

Premier stage à 13 ans
La jeune femme raconte d’abord sa rencontre avec les chevaux. Elle a 12 ans lorsqu’elle réclame ses premiers cours d’équitation à ses parents. Son père est maître socioprofessionnel, sa mère infirmière. Marie a dû les convaincre. «C’est un loisir qui représente un certain budget. Mais ils ont fini par céder face à mon insistance», se souvient-elle. Ils ne le regretteront pas. «J’ai pratiqué la danse, la gymnastique, le piano, la poterie et tout arrêté. Sauf l’équitation.» C’est au manège où elle monte qu’elle assiste à son premier ferrage. «J’ai été fascinée. Depuis ce jour-là, je m’arrangeais pour être présente à chaque visite du maréchal.»

À 13 ans, elle effectue son premier stage et annonce à ses parents qu’elle a trouvé sa voie professionnelle. Seul problème: aucun patron n’est prêt à l’engager. «Pas par méchanceté. Je crois qu’ils avaient juste pitié de moi», sourit aujourd’hui Marie. Elle finit par rencontrer Florian Hauser, installé à Burtigny, à La Côte (VD). Le maréchal-ferrant a déjà formé une femme au métier et accepte d’engager Marie pour ses quatre ans d’apprentissage. «Les trois premières semaines ont été physiquement éprouvantes.» Un cap à passer, paraît-il. Deux ans plus tard, son patron est recruté à la forge du Haras national. Marie le suit et termine sa formation à Avenches (VD). Une chance pour l’apprentie. «Là-bas, on voit de tout, des étalons, des chevaux de course, des cas techniques. J’y ai énormément appris. Même si ce n’est pas la vraie vie de maréchal-ferrant», souligne-t-elle.

La vraie vie? «C’est de posséder son camion et de devenir itinérant», répond sans détour Marie. Son quotidien depuis cinq ans. Le plus beau métier du monde, assure la Vaudoise, qui a trouvé dans cette voie la meilleure façon de conjuguer sa passion pour les équidés et le travail de la forge. «Je rencontre des chevaux et des gens nouveaux tous les jours. Franchement, vous connaissez un autre métier qui offre autant d’indépendance et de liberté?» lâche-t-elle à l’heure de reprendre la route…

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Jean-Paul Guinnard

Son univers

  • Un animal: Le cheval. «Parce que c’est un être imposant mais sensible.»
  • Un plat: La raclette suisse. «Clairement la meilleure spécialité qui existe!»
  • Un lieu: La forêt. «Pour les longues balades avec mes chiens.»
  • Un film: «American Sniper». «J’aime tout ce qui a trait au dépassement de soi, tant physique que mental.»