Reportage
Le Muséum de Genève abrite la plus grande collection d’œufs du pays

Plus de 60 000 coquilles sont soigneusement rangées au sous-sol de l’institution. Des chercheurs du monde entier viennent étudier ces merveilles, qui dévoilent la vie d’espèces ayant, pour certaines, disparu.

Le Muséum de Genève abrite la plus grande collection d’œufs du pays

Certains sont bleus ou rouges, mouchetés ou immaculés, ressemblant à de délicieuses dragées. D’autres sont nacrés, ronds ou pointus, de la taille d’un petit bonbon ou d’un ballon de rugby. Au sous-sol du Muséum d’histoire naturelle de Genève se cachent de véritables trésors. C’est ici que se trouve la plus grande collection d’œufs du pays. «On conserve dans nos armoires 62′509 spécimens provenant de près de 2000 espèces distinctes, détaille Laurent Vallotton, adjoint scientifique de l’institution, spécialisée en ornithologie. Cela représente 20% des oiseaux du monde.»

Ces vestiges, parfois rapportés d’Afrique ou d’Amérique du Sud il y a des décennies, ont aujourd’hui une valeur inestimable. «Au XIXe siècle, collectionner des œufs était une véritable tradition. Certaines personnes n’hésitaient pas à escalader des parois pour en chercher dans les nids d’aigles par exemple, afin de les étudier ou de les revendre. Depuis la signature de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction en 1974, il est strictement interdit d’en récolter, poursuit Laurent Vallotton. Cela rend cette collection d’autant plus précieuse.»

Outre leur côté esthétique, ces coquilles, qui ont été préalablement vidées avant d’être soigneusement référencées, sont une mine d’informations pour les scientifiques (lire l’encadré). Régulièrement, des particuliers contactent l’institution dans le but de lui proposer leurs pépites, comme le héros de guerre français René de Naurois. «Dans les années 1960, il a collecté de nombreux œufs d’aigles, dans le cadre de sa thèse de doctorat consacrée à la vie des oiseaux de la côte occidentale d’Afrique, du cap Barbas, Sahara espagnol, à la frontière de la République de Guinée, raconte Laurent Vallotton. Ce serait impensable aujourd’hui.»

De précieuses trouvailles
Le Muséum de Genève a d’ailleurs réussi un coup de maître en 2011, en mettant la main sur la collection exceptionnelle de l’ornithologue Werner Haller. L’habitant de Rothrist (AG) conservait dans un pavillon à l’arrière de sa maison près de 30’000 œufs, presque autant de pièces qu’avait à disposition le musée jusque-là. «Toute sa vie, il a classé et trié, avec beaucoup de soin et de minutie, des coquilles provenant du monde entier, relève Laurent Vallotton. Il détenait notamment un œuf d’océanite de Gadalupe Oceanodroma macrodactyla, un oiseau de mer aujourd’hui éteint que nous n’avions pas, ainsi qu’un œuf de pigeon migrateur Ectopistes migratorius

Ces trouvailles, qui ont été exposées au public en 2013, ont depuis été numérisées. Les chercheurs du monde entier, en quête d’informations sur des espèces particulières et qui ont parfois disparu, peuvent ainsi accéder aux trésors du Muséum en quelques clics seulement. «De nombreux pays n’ont pas informatisé ces ressources, constate Laurent Vallotton. En Angleterre par exemple, la détention d’œufs est même interdite. Les collections privées ont donc tendance à être détruites plutôt qu’à être valorisées.»

Signe de reproduction
La perte est regrettable, car les œufs en disent long sur l’évolution des populations de volatiles. Leur présence sur un territoire n’indique pas seulement qu’ils l’ont traversé. Elle montre aussi qu’ils se sont reproduits dans des sites qui répondaient alors à leurs besoins. «Ces coquilles sont des témoins importants de l’histoire des espèces. Elles peuvent servir à des analyses toxicologiques, paléoclimatiques et même taxonomiques, précise le spécialiste. Les technologies modernes permettent même d’extraire l’ADN qu’elles contiennent.»

En les examinant, la communauté scientifique a notamment prouvé que la température et l’humidité ont une influence sur la taille des œufs, dont les dimensions varient énormément. «Plus l’oiseau est petit, plus son œuf est proportionnellement grand, note Laurent Vallotton. Celui d’un colibri représente 15% de son poids, celui de l’autruche 1% en revanche. Sa coquille ne doit pas dépasser les trois millimètres d’épaisseur pour que l’oisillon puisse sortir. Elle doit aussi résister à son propre poids. Le volume d’un œuf augmente au cube, ce qui le rend vite lourd.» Chaque printemps, les volatiles réalisent donc des prouesses en créant ces cocons, à la fois ultrarésistants et respirants, qui n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

+ d’infos Une partie de la collection est visible sur www.mirabilia.ch – les professionnels y ont accès via le site www.gbif.org

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Motifs et couleurs en disent long

Les coquilles ne constituent pas qu’un rempart protégeant l’embryon des menaces extérieures, elles sont de fabuleuses sources d’enseignement pour les chercheurs. C’est en étudiant celles de rapaces, comme le faucon crécerelle, qu’ils ont compris l’impact de l’usage de produits phytosanitaires de synthèse (DDT et PCB notamment) sur la qualité des œufs. Dans les années 1940, ces populations ont tellement diminué qu’elles ont presque disparu du Plateau. «Fragilisés, leurs œufs se cassaient lors de la couvaison, raconte Laurent Vallotton. Au fil des ans, ils ont peu à peu changé de teinte. Des pigments rouges se déposaient sur leurs zones les plus fragiles. On peut reconnaître aujourd’hui à l’œil nu les pontes de rapaces datant d’avant l’interdiction du DDT, car elles sont plus colorées.» Les motifs peuvent aussi indiquer si l’espèce est cavernicole, c’est-à-dire qu’elle pond dans une cavité à l’abri des regards. Ses œufs auront tendance à être blancs et ronds, alors que ceux d’un volatile couvant en plein air seront recouverts de taches et entrelacs, afin de les camoufler au mieux dans le paysage. «Chez certaines espèces, diverses couleurs permettent de différencier leur coquille de celle d’oiseaux parasites plaçant leurs œufs dans un nid colonisé, comme le coucou gris», conclut l’ornithologue.

En chiffres

  • Sur les 62’509 œufs que compte le Muséum de Genève, 29’223 proviennent de la collection de l’ornithologue suisse Werner Haller.
  • 12e rang des plus grandes collections, soit le classement de l’institution à l’échelle européenne. Elle pointe à la 18e position sur le plan mondial.
  • Près de 2000 espèces différentes sont représentées avec ces œufs, soit 20% des oiseaux du globe.
  • Près de 5 millions de coquilles sont conservées dans les musées du monde entier.