Décryptage
L’analyse et la prévention des avalanches s’affinent

En début d’hiver, l’échelle indiquant le danger d’avalanches en Suisse a été revue pour intégrer davantage de précision. Connu pour son savoir-faire en la matière, le pays fait une fois de plus figure de pionnier.

L’analyse et la prévention des avalanches s’affinent

«Degré de danger «marqué» aux expositions ouest à sud-est en passant par le nord au-dessus de 2000 m.» Ces tournures, les professionnels de la montagne les connaissent bien: ce sont celles du bulletin d’avalanches. Actualisé deux fois par jour durant toute la saison froide, ce document est consulté religieusement par les guides, les responsables de sécurité des domaines skiables, les amateurs de ski hors piste ou encore les autorités des communes alpines.

Pour chaque région, ce communiqué détaille les situations les plus périlleuses au moyen d’une échelle classant le danger en cinq degrés. «Quand on arrive dans une nouvelle zone, c’est notre premier outil de travail, dit Christian Wittwer, président de l’Association romande des guides de montagne (ARGM). On affine ensuite notre estimation grâce à nos connaissances du terrain, puisque le bulletin définit un risque moyen sur un périmètre géographique très large.»

Une courbe à pondérer
De 1 comme «faible» à 5 comme «très fort», cette méthode d’évaluation repose sur une multitude de critères et sur les indications quotidiennes données par un réseau de 200 observatrices et observateurs, aux quatre coins du pays. «Les degrés 1 à 3 concernent les activités récréatives, le ski et le ski de randonnée, détaille Pierre Huguenin, responsable de l’antenne sédunoise de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF. Lorsque l’on arrive dans le degré 4, les sorties en montagne sont à réserver aux professionnels expérimentés, tandis que le niveau 5 relève de la potentielle catastrophe naturelle.»

Introduite il y a quelques semaines, la nouveauté consiste à apporter des pondérations au sein de chaque catégorie: «On indique par un signe «-», «=» ou «+» si l’on se situe dans la partie basse, médiane ou haute du degré de danger, détaille Pierre Huguenin.» Pourquoi est-ce important? Un simple coup d’œil au graphique suffit à le comprendre: «La courbe n’est pas linéaire, mais exponentielle. La latitude de danger couverte par le degré 3 est donc beaucoup plus importante que celle du degré 2. C’est en particulier pour le degré 3 que les subdivisions supplémentaires sont utiles, puisqu’entre le bas et le haut de cette catégorie, les risques sont radicalement différents.»

La psychologie entre en jeu
Ce genre de changement ne se fait pas en un jour. «Le concept a été testé à l’interne durant six hivers, précise Pierre Huguenin. Il a nécessité un travail très minutieux, afin de comprendre précisément si ces pondérations supplémentaires apportaient quelque chose à nos statistiques et à nos pronostics. Et c’était le cas: au vu de la quantité énorme de données qui entrent en jeu dans l’élaboration d’un bulletin d’avalanches, nous avions besoin de chiffres plus fins.»

Alors, pourquoi ne pas ajouter, tout simplement, des degrés en passant de cinq à dix par exemple? La réponse est psychologique: «La recherche a montré que le cerveau humain pouvait appréhender facilement cinq à sept catégories, explique Pierre Huguenin. Au-delà de ce chiffre, la distinction est moins immédiate. Pour que l’information soit comprise de manière intuitive, mieux vaut donc conserver un nombre réduit de classes de danger.»

Phénomènes mieux compris
Reste à savoir ce qu’en pensent celles et ceux qui utilisent ce document. «Cette précision supplémentaire permet de clarifier les prises de décision, estime Christian Wittwer. Il faut certes savoir écouter ses tripes quand on est sur le terrain, se fier à son instinct et à sa connaissance de la montagne, mais cette échelle est une manière de rationaliser la réflexion.»

Le nouveau bulletin d’avalanches s’inscrit dans une dynamique plus large, une progression constante des connaissances scientifiques sur le comportement du manteau neigeux. Et la Suisse fait, comme c’est le cas depuis des décennies, partie des pionniers en la matière: première à introduire ce système de graduation plus précis, elle pourrait bien donner des idées aux pays voisins. Grâce à de nouvelles méthodes (lire l’encadré), on connaît toujours mieux les signes avant-coureurs d’une catastrophe naturelle, un perfectionnement d’autant plus important que la montagne change. «Le plus flagrant des indices, c’est l’isotherme du 0°C qui monte régulièrement au-dessus de 3000 mètres d’altitude en plein hiver, note Pierre Huguenin. La neige tombe alors sur des sols qui n’ont pas encore gelé, créant des scénarios inédits.»

De quoi garder les pieds sur terre. Si les connaissances ont beau avancer et la sécurité des usagers s’améliorer d’année en année – le nombre de victimes d’avalanches reste stable, alors que la quantité de pratiquants de ski hors piste explose –, l’univers alpin réserve encore bien des mystères, et autant de dangers.

+ d’infos www.slf.ch/fr

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Adobestock

Recherche alpine de pointe

Dans le domaine de la science des avalanches, on n’arrête pas le progrès: du côté de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF, basé à Davos (GR), on utilise le nec plus ultra des appareils de mesure et de calcul afin de décoder ces phénomènes. Drones capables d’évaluer précisément l’épaisseur de la neige, simulations en laboratoire, mise à profit de systèmes d’intelligence artificielle ou d’images satellites, le SLF fait figure de référence européenne en la matière.