Rencontre
La photographe Carole Reboul met en lumière le monde de la nuit

Artiste phare de la 19e édition du Festival Salamandre, la photographe française nous raconte la création de son exposition «Il était une fois la nuit», à découvrir à Morges (VD) jusqu’au 14 novembre.

La photographe Carole Reboul met en lumière le monde de la nuit

Assise sur les cailloux au bord du Léman, réchauffée par la douce chaleur du soleil automnal, Carole Reboul se souvient de son premier appareil photo. «C’était un argentique, un cadeau de mon père. J’ai dû faire une centaine de clichés, surtout de fleurs et de nuages. Malheureusement, je crois bien qu’on n’a jamais réussi à développer les pellicules.» Ce qui est alors la découverte d’une passion deviendra au fil de sa vie son moyen de s’exprimer et de sensibiliser à la nature. Originaire du Gard, la Française est professeure de sciences et de physique. En 2011, le stress de son métier la pousse à prendre du recul et elle se met alors à la photographie macroscopique. Elle jongle depuis entre ces deux occupations. «On peut même dire que je m’y consacre à plein temps», rigole-t-elle.

Son premier livre, mettant en lumières les fleurs, sort en 2013, et elle prend alors le statut d’auteur photographe. En marge de sa dernière publication et du Festival Salamandre, dont elle vient d’être l’invitée d’honneur, son exposition «Il était une fois la nuit» est visible gratuitement dans le parc de Vertou à Morges, où quinze clichés sont présentés au public jusqu’au 14 novembre. Cet accrochage révèle un autre objet de fascination: les paysages nocturnes. Si l’infiniment petit l’a guidée lors de ses débuts en photographie, Carole Reboul s’est en effet lancée à corps perdu dans l’infiniment grand depuis presque trois ans.

 

L’amour de l’espace

«La nuit est un monde ensorcelant. Les étoiles nous rappellent l’échelle démesurée du cosmos, c’est une leçon d’humilité. Nous ne sommes qu’une infime part d’un ensemble plus vaste», philosophe-t-elle alors que nous visitons le volet de son exposition dédié à la grandeur cosmique. Elle s’arrête devant l’une de ses photos, représentant un ciel nocturne vu à travers une forêt. Le cliché a été pris en longue exposition. Les constellations apparaissent comme de gigantesques cercles lumineux, à peine visibles derrière des arbres transparents, formant des ombres.

«Je n’aime pas retoucher mes images, je préfère jouer avec les réglages de l’appareil», précise-t-elle. L’artiste expérimente, mais elle ne laisse pour autant rien au hasard. «On oublie souvent que nous traversons le cosmos à une vitesse folle! Je voulais montrer ici le mouvement de notre planète vu dans le ciel.» Si son art met en vedette l’infini, la nature terrestre reste toujours au premier plan, comme le rappel que nous faisons partie de cet incroyable univers.

«C’est une personne très active et exigeante avec elle-même, commente Pascal Reboul, qui l’accompagne régulièrement durant ses expéditions nocturnes. On dit souvent qu’on a trois vies: nos métiers, la photographie et nos enfants.» Le couple est parent de trois jeunes qui partagent avec leur mère l’amour de la nature. «Pouvoir être ici au Festival Salamandre est le résultat de tellement de travail. C’est un rêve pour elle», se réjouit son mari.

Carole Reboul a commencé son activité de photographe dans la chaîne montagneuse des Cévennes, proche d’où elle vit. Aujourd’hui, elle aime voyager et découvrir de nouveaux paysages nocturnes, à la recherche d’expériences inédites. Elle garde par exemple un incroyable souvenir du parc naturel du Gantrisch (BE). Future réserve de ciel étoilé, elle lui a dédié une photo de l’exposition. Elle aimerait aussi élargir encore ses horizons nocturnes, notamment en Espagne ou en Italie. Et concrétiser l’idée de réaliser un documentaire vidéo, pour sensibiliser la population à l’importance de l’obscurité.

 

La nuit n’est pas notre ennemi

«Malheureusement, notre société possède une culture de la nuit qui est pauvre. On fuit ce monde avec nos éclairages artificiels, observe Carole Reboul. Dans une société qui tourne 24 heures sur 24, on ne laisse plus de place à la nuit. C’est comme si on en avait peur.» La pollution lumineuse, un des points centraux de son exposition, reste pour elle un sujet essentiel dans le débat sur la relation entre l’homme et la nature. Une problématique qui affecte tout particulièrement la faune nocturne. La photographe la met en évidence sur plusieurs de ses clichés, dont un montrant des vers luisants se cachant derrière l’ombre d’une roche, à l’abri de l’éclairage intense de Grenoble (F). «La lumière des villes peut s’étendre sur des centaines de kilomètres. Barcelone est visible de nuit depuis le pic du Midi…»

La Gardoise note tout de même un changement. L’éclairage artificiel est de plus en plus perçu comme une nuisance. Les magasins, par lucidité écologique ou par obligation, commencent à éteindre leurs lumières à la tombée de la nuit. Mais les gens n’ont pas encore totalement conscience de la beauté qui règne dans le ciel nocturne. «Certains me demandent parfois si j’ajoute des étoiles sur mes photos. Ils ne réalisent pas que nous n’avons pas besoin d’aller dans le désert pour observer la Voie lactée, elle est tout le temps présente au-dessus de nous. Simplement cachée par nos excès de lumière.» Regrettant qu’on ne prenne plus assez souvent le temps de lever la tête, Carole Reboul veut ainsi se battre pour que les étoiles reprennent leur juste place dans le paysage nocturne mais aussi dans nos vies de terriens.

Texte(s): Mattia Pillonel
Photo(s): Mathieu Rod