Il faut enjamber le Rhin pour arriver à Schaffhouse, un saut symbolique quand on arrive de Suisse romande. Nous voilà donc parvenus à l’extrême nord du pays, dans une ville familière mais qui semble tout de même vivre à un autre rythme, comme si le temps s’écoulait un peu moins vite de ce côté-ci du fleuve. Bien abritées du soleil estival, les rues pavées de la cité sont ponctuées de terrasses. Et l’on aurait bien envie de s’y attarder un peu, bercés par le murmure des fontaines. Mais nous consacrerons un peu de temps à la flânerie après les 57 km de la Chläggi-Route, une grande boucle à vélo qui va nous emmener à la découverte de l’arrière-pays schaffhousois.

De l’eau pour se rafraîchir
Après deux kilomètres le long du Rhin, l’itinéraire s’engage dans une petite gorge qui nous conduit dans le district de Klettgau et sa large vallée viticole. La banlieue de la capitale laisse progressivement place à la campagne. En cette fin de mois d’août, céréales et fourrage sont mûrs à point et le soleil tape durement sur les champs et les prés qui viennent d’être fauchés. La brise s’est heureusement levée, nous gratifiant d’une odeur de paille fraîche tout le long du chemin menant à Beringen. Pour se rafraîchir, un petit plongeon dans la piscine du village tombe à point nommé. Ici, adieu le chlore: les bassins sont traités de manière naturelle depuis quelques années et un réservoir planté de roseaux permet de régénérer l’eau dans laquelle les baigneurs se prélassent. C’est presque avec regret que nous quittons les lieux pour poursuivre notre route.

La Chläggi-Route fait alors son entrée dans le Parc naturel régional de Schaffhouse. Le dernier-né du réseau des parcs régionaux du pays est actif depuis 2018. Il peut se targuer aussi d’être le seul à s’étendre au-delà des frontières suisses, puisqu’il englobe deux communes allemandes, situées dans le land du Bade-Würtemberg voisin. Mais restons encore un peu en Helvétie, pour rallier Neunkirch. Une fois franchie l’imposante porte de cette petite localité médiévale, des maisons à colombages dévoilent une architecture typique de la région, alignées sagement de part et d’autre de la route. Le village de la «nouvelle église» n’est pas peu fier de son nom: à chaque extrémité de la rue centrale, une fontaines ornée d’une église miniature perchée au sommet d’une colonne en pierre accueille les visiteurs.

La route se faufile ensuite à travers champs, nous invitant à ralentir et à profiter du paysage alors que, dans les courants ascendants, des faucons planent à l’affût d’un repas. Elle bifurque alors vers le nord en direction de la commune de Hallau, le plus grand bourg viticole de Suisse orientale.

Petite capitale du pinot noir
Le village s’appuie sur d’imposantes collines orientées plein sud et striées de vignes. Nous sommes arrivés au pays du pinot noir, que plusieurs caves renommées mettent à l’honneur. Le précieux nectar est aussi l’un des ingrédients du saucisson au vin, une des nombreuses spécialités régionales, qu’on se presse d’aller chercher à la boucherie de Hallau. Cet en-cas, peu diététique mais roboratif et ô combien délicieux, nous semble de bon aloi pour soutenir notre effort et les quelques bons coups de pédale nécessaires pour grimper jusqu’à l’église Sankt-Moritz. Cet édifice gothique a vu le jour dans les dernières années du XVe siècle. Les pèlerins y ont rapidement afflué dans l’espoir d’une guérison miraculeuse. Une ferveur populaire qui a abruptement pris fin quelques décennies plus tard avec la Réforme. Depuis, le district est fermement protestant.

De là, la route goudronnée laisse rapidement sa place à un chemin de gravier, qui traverse les vignes jusqu’au sommet de la montagne d’Oberhallau. Au nord-ouest, la forêt cascade vers l’Allemagne, mais notre itinéraire nous fait longer la crête qui offre une vue plongeante sur le Klettgau, où s’étend le plus grand vignoble de la région. Après quelques kilomètres sur un faux plat, il n’y a plus qu’à se laisser rouler sans effort vers le village de Trasadingen. Le vent qui s’engouffre dans la plaine nous pousse ensuite en direction de Wilchingen, qu’on traverse avant de gagner Osterfingen. Le village s’étale en long, pincé dans une vallée étroite. Les fermes à colombages sont bordées de petites cours le long de la rue principale qui remonte en pente plus ou moins douce. La vigne cède alors la place à la forêt.

Après une vingtaine de minutes sur des sentiers forestiers, une halte s’impose pour reprendre son souffle. Un petit détour permet d’aller visiter la ruine de Radegg. Ce château est aujourd’hui entouré de chênes qui s’agrippent aux falaises environnantes, mais il devait autrefois s’élever fièrement au-dessus de la vallée. La rivalité entre seigneurs du coin a probablement eu raison de cet édifice autour des années 1300. Des flèches et des carreaux d’arbalètes ont été découverts lors de prospections archéologiques, mais personne ne sait exactement pourquoi la forteresse est tombée. Toujours est-il qu’une légende raconte que Radegg abritait un baron à la réputation de brigand. Les paysans, excédés par sa cruauté, incendièrent la château fort, causant au passage la mort de sa fille, la bienveillante Kätterli. L’âme en peine de la jeune femme hante toujours les lieux et, les nuits de pleine lune, nombreux sont ceux qui croient l’avoir vue assise au sommet de la tour en ruine.

De là, notre route s’enfonce dans la forêt du Rössberg et son dédale de chemins sylvestres. Une fois passé le sommet de la montagne, il nous reste plus qu’à dévaler la pente jusqu’à la localité allemande de Jestetten. Il s’agit maintenant suivre des panneaux vert et blanc des pistes cyclables jusqu’à Altenburg, où un dernier détour permet d’aller jeter un œil sur un mur d’origine celtique, construit au IIe siècle avant notre ère.

En passant par les chutes
Le retour à Schaffhouse, qui suit la berge du Rhin, ne saurait ignorer les fameuses chutes, qu’on vient contempler de loin à la ronde. Leur grondement sourd se fait de plus en plus fort. Bientôt, l’énorme cascade se dévoile et l’eau pulvérisée par la force du torrent nous arrive en une fine bruine. Le sentier mène alors un peu plus en amont, où le fleuve retrouve un semblant de paix. Des baigneurs se laissent glisser dans le courant et sur la rive droite, une plateforme en bois providentielle permet de tremper ses pieds fatigués dans l’eau froide. Quelques derniers coups de pédale suffiront pour regagner le cœur de la vieille ville de Schaffhouse, où on cédera sans se faire prier aux sirènes des terrasses.

+ d’infos https://naturpark-schaffhausen.ch