Pâture intégrale et vêlages groupés font le succès d’un domaine lucernois
On s’attendait à voir Hugo Jung un poil tendu, pour ne pas dire plus: deux jours avant notre visite, sept petits museaux ont vu le jour dans sa vaste écurie; d’ici à mi-mars, une soixantaine de bovins viendront au monde – soit la quasi-totalité du renouvellement annuel de son troupeau de 65 vaches laitières. Ce dynamique Lucernois, qui a repris la ferme familiale il y a trois décennies, est pourtant souriant et détendu. «La charge est assez lourde entre le 1er février et le 30 mai, les inséminations suivant les vêlages, reconnaît l’agriculteur d’Eschenbach (LU). Mais je ne parlerais pas de stress.»
Rentabilité au top
Hugo Jung, qui a toujours livré son lait à la centrale ZMP, est passé aux vêlages groupés en 2007, un procédé largement calqué sur la gestion low cost de la production laitière pratiquée à grande échelle en Nouvelle-Zélande. Après s’être rendu lui-même aux antipodes, il a commencé progressivement à troquer ses brown swiss contre des kiwi cross, issues d’un croisement entre frisonne et jersey, bien adaptées à une productivité basée sur les herbages. «Pour une évolution génétique complète, il a fallu dix ans, précise-t-il. Je revends moi-même entre 12 et 16 génisses chaque année, en octobre. Une annonce dans le journal suffit à les faire partir… juste avant la période d’affouragement hivernal qui rend la détention plus onéreuse. Ce n’est qu’un des nombreux avantages du système en matière de rentabilité.»
Lorsqu’il se met à énumérer ceux-ci, le Lucernois se laisse aller à l’enthousiasme: «Avec des teneurs moyennes de 4,8% de graisse et de 3,8% de protéines, mes kiwi cross sont nettement au-dessus des brown swiss, alors que je n’ai besoin que de 60 kg d’aliment par tête et par année – et d’environ 50 tonnes de fourrage grossier, dont une proportion non négligeable issue de surfaces de compensation, relève-t-il. Et même si la moitié de mes laitières partent estiver au Tessin, avec les génisses – l’alpage me payant 50 centimes par litre, soit 450 francs par vache, en plus de la prime d’estivage – mon quota laitier de 300000kg est atteint sans difficulté en fin de saison.» Le producteur a fait ses calculs: en valeur énergétique corrigée et en tenant compte de toutes ses surfaces allouées au fourrage, son domaine flirte avec un rendement de 15000 kg de lait par hectare, soit largement plus que la moyenne située entre 8000 et 9000 kg par hectare.
En chiffres
30 hectares dont 17 hectares autour de l’étable, prairies, surfaces respectant les prestations écologiques requises (PER) et 2 ou 3 hectares de céréales fourragères.
65 vaches et de 22 à 32 génisses kiwi cross et friesian-holstein.
98% des vêlages ont lieu entre février et mi-mars, 75% durant les trois premières semaines de février.
300‘000 kg/an de quota laitier.
15‘000 à 16’000 kg/hectare de rendement laitier en valeur corrigée en fonction des surfaces allouées au fourrage et de la teneur en graisses et valeur énergétique.
Moins de problèmes de santé
Fin novembre, Hugo Jung tarit ses vaches, toutes de retour, en profitant de la chute de lactation provoquée par le changement de régime alimentaire. «Jusqu’au mois de février, j’ai du temps pour réfléchir aux aménagements et investissements à faire, pour la comptabilité… et pour la famille. Avec 65 laitières, je travaille moins qu’un apprenti et peux maintenir une activité à 10-15%, hors de l’exploitation, comme président de la Landi régionale.»
Les vêlages eux-mêmes ne lui causent guère de souci. «Les bêtes se débrouillent sans moi! Ensuite, les petits sont laissés sous la mère durant 12 à 18 heures avant d’être placés dans leurs stalles et nourris grâce au milk bar. Il leur faut un ou deux jours pour s’habituer à la tétine, mais les kiwi cross l’acceptent plutôt mieux que d’autres races telles que la limousine», note-t-il.
Selon l’agriculteur, les avantages du système compensent largement ses inconvénients. «Il me faut quatre tonnes d’engrais annuelles afin de garantir des herbages qualitatifs, la meilleure période de lactation étant calée sur celle où les prairies sont les plus riches. Et les taurillons kiwi cross se prêtent moins bien à l’engraissement du gros bétail, admet-il. Mais l’itinéraire low cost permet un rendement incomparable, avec des animaux moins sujets aux problèmes de santé induits par un modèle intensif classique et des frais de vétérinaire réduits à 80 francs par an et par vache. Dans une perspective globale de production alimentaire, viser une telle efficience est pour moi une évidence.»
Une vraie stratégie nutritionnelle
Avec près d’une soixantaine de bêtes pour une surface herbagère de 17 hectares, s’en tenir à un système de pâture intégrale comme le fait Hugo Jung requiert une grande précision technique, et ce même si le producteur met ses génisses et la moitié de ses laitières en pension estivale. Le Lucernois insiste sur la qualité de ses herbages, testant notamment des parcelles de ray-grass anglais diploïde concentrant un maximum de qualités nutritives sur une surface réduite. Et surtout, il régule très rigoureusement l’accès à ses pâtures et l’alternance de celles-ci. «Je ne fais qu’une seule coupe annuelle sur mes 17 hectares, mais en revanche, j’y organise onze à douze tournées sur la saison, avec des parcs de 60 ares sur lesquels les bêtes passent en moyenne 18 à 25 heures», explique-t-il. De quoi donner le tournis…
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