Les producteurs seront-ils victimes de l'offensive sur les prix?
Les consommateurs peuvent souffler: après Aldi qui a annoncé en septembre une baisse des prix de la viande, Migros a décidé de diminuer ceux des fruits et des légumes et, à terme, de 1000 autres produits courants. Sans surprise, Coop a réagi promptement en promettant début novembre de nouvelles réductions.
La médaille que les géants de la grande distribution font miroiter devant les yeux de leurs clients a son revers: dans les milieux agricoles, on digère mal ces annonces et plusieurs associations de défense de la paysannerie ont fait part de leur inquiétude. Pourtant, le géant orange l’a promis par la voix de son CEO Peter Diethelm: non, les paysans ne toucheront pas moins d’argent. «Les baisses de prix sont rendues possibles par des gains d’efficacité au sein de Migros.» Le directeur glisse toutefois: «Indépendamment de ces baisses, nous négocions nos prix comme d’habitude; de manière intraitable, mais toujours équitable.»
Bio très concerné
Cette petite phrase en dit long et n’est pas de nature à rassurer l’association Marchés équitables Suisse (MéS). «Dans le cadre de la transformation actuelle du groupe, Migros, Denner, Migrolino et Migros-Online achètent désormais ensemble, souligne Stéphanie Lichtsteiner, codirectrice de MéS. Cela leur donne un pouvoir de négociation encore plus grand. Nous avons déjà reçu des informations du marché selon lesquelles les acheteurs de Migros négocient avec acharnement et surveillent de près l’évolution des prix à la production.»
En arrière-plan, c’est tout le débat sur le manque de transparence souvent reproché aux grands distributeurs en matière de marges qui est attisé par ces annonces successives. «Ce manque existe bel et bien, au niveau de la transformation et de la vente au détail. Il a créé des distorsions.»
On a déjà reçu des informations du marché selon lesquelles les acheteurs de Migros négocient avec acharnement.
La filière bio est particulièrement concernée. «La Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW) publie pour nous tous les six mois une étude dans laquelle est examinée la relation de prix entre les produits biologiques et conventionnels. Les derniers résultats montrent une fois de plus qu’il existe une discrimination à l’encontre du bio: les différences de prix significatives entre les produits biologiques et conventionnels indiquent qu’une part importante de la valeur ajoutée des produits biologiques est perçue au stade de la transformation et de la commercialisation.»
Outil d’autocontrôle
Les grands distributeurs justifient cet écart par les coûts de certification. «Or diverses études indiquent que ces différences sont fortement influencées par la puissance sur le marché de Migros et Coop.» Conséquence, selon la codirectrice de MéS? «La transformation vers des systèmes alimentaires durables s’en trouve freinée.»
Pour amener plus de clarté en matière de marges, l’association et d’autres acteurs plaident pour une observation plus scrupuleuse du marché. Dans ce but, MéS a lancé sur son site internet il y a six mois un outil d’autocontrôle, s’appuyant sur les critères du droit de la concurrence. Il permet aux acteurs de la chaîne agricole de fournir anonymement des précisions sur le déroulement des tractations avec les acheteurs.
Dépendance aux acheteurs
Selon l’association, les premiers résultats sont alarmants: 65,4% des agriculteurs interrogés critiquent le fait de ne pas pouvoir participer à la formation des prix et d’être ainsi livrés sans protection aux conditions unilatérales de l’acheteur.
En outre, 38,5% se sentent dépendants de leurs acheteurs et se voient ainsi confrontés à des risques importants. Le rapport précise aussi: «Il est piquant de constater que neuf agriculteurs et agricultrices sur dix (92%) se voient confrontés à des pratiques commerciales déloyales, non pas sur un seul, mais sur plusieurs points de la commercialisation et de la formation des prix.»
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