Des prés à l’industrie du luxe, le destin des peaux de vaches suisses
On savait la Suisse exportatrice de montres, de fromages et de chocolats. Fait moins connu, elle est également réputée dans le monde entier pour ses cuirs. Hermès, Gucci, Lamborghini, Ferrari, les plus grandes marques s’arrachent les peaux de nos vaches afin de confectionner sacs à main, chaussures et sièges de voitures de luxe.
Les raisons de ce succès? La qualité des toisons helvétiques, considérées parmi les plus nobles du marché, du fait des normes de détention strictes et du bon suivi des troupeaux qui permettent de limiter la présence des parasites sur les bêtes. Mais pas seulement. Notre petit territoire facilite aussi une prise en charge rapide et efficace des sous-produits d’abattage.
Usine unique en Suisse
Dans la zone industrielle de Lyss (BE), l’entreprise Centravo en a fait sa spécialité. Cette structure unique en Suisse fondée il y a près de 130ans rachète tout ce que les bouchers laissent de côté: queues, os, cornes, sabots, graisse, carcasses. Directeur du Département peaux et cuirs, Stephan Ochsner nous ouvre les portes de l’usine où sont acheminées les toisons des animaux d’élevage abattus sur notre territoire, exception faite des volailles et des cochons, dont les peaux sont, elles, consommées.
«Les bovins représentent le volume le plus important, avec plus de 580000 cuirs par an, suivis par les ovins, les caprins et, dans une moindre mesure, les équidés. Depuis quelques années, nous recevons également des pièces de yaks, bisons, lamas ou alpagas, mais leur nombre reste anecdotique», explique Stephan Ochsner en nous distribuant des blouses et des protections pour nos chaussures.
Toisons encore chaudes
Direction l’usine de traitement, où la vingtaine d’ouvriers sont à pied d’œuvre depuis 5h du matin. Une odeur âcre nous monte au nez sitôt qu’on passe la porte. Tout commence dans cette gigantesque chambre froide, où près de 4000 peaux suspendues à des crochets se balancent sous les néons blancs du plafond. Elles sont arrivées par camion la veille au soir en provenance des quatre coins de la Suisse.
«Centravo collabore avec les 300 abattoirs du pays. Des grosses structures comme Bell ou Micarna qui font jusqu’à 700 pièces quotidiennes aux petites qui ne tuent qu’une seule bête par semaine. Le processus de putréfaction démarrant très rapidement après la mise à mort, nos véhicules quadrillent la Suisse tous les jours pour s’approvisionner», relève Stephan Ochsner. À leur arrivée à Lyss, les toisons encore chaudes sont d’abord refroidies durant huit à neuf heures dans cette pièce réfrigérée à 3°C. Puis elles sont expédiées au moyen d’un rail télécommandé jusqu’à l’étage inférieur. Ici, quatre ouvriers s’affairent de part et d’autre d’un tapis roulant. Brunes, tachetées, noir et blanc, les peaux défilent à un rythme effréné.
Dans le feu de l’action
«Bovin, première qualité!» crie cet employé au milieu du brouhaha des machines. Son collègue inscrit l’information sur un ordinateur et scanne le numéro BDTA resté sur la boucle auriculaire de l’animal. Cela permet de retracer le nom de l’éleveur, la race ainsi que le lieu d’abattage. Un autre employé coupe les parties inutilisables du cuir: tête, pattes, queue. Puis vient la pesée: cette toison de génisse affiche 17,9kg sur la balance.
Enfin, les peaux sont recouvertes de sel et empilées sur des palettes durant sept jours, le temps d’évacuer l’eau contenue dans les chairs. «À Lyss, nous sommes parmi les rares à également pratiquer un traitement avec de la glace pour les tanneurs qui le souhaitent. C’est une méthode alternative à la salaison, mais qui exige que la pièce soit rapidement tannée. Elle convient donc surtout aux grandes structures avec un débit important», complète Stephan Ochsner.
Prix fluctuants
Les palettes rejoignent ensuite le local de stockage jusqu’à leur départ en camion dans les tanneries italiennes. «Nos acheteurs sont situés dans la région de la Vénétie ainsi qu’à Santa Croce, entre Florence et Pise.» Si Centravo refuse de communiquer sur le prix de vente de ses toisons, les rémunérations qu’elle offre aux abattoirs sont officielles. «Celles-ci se calculent sur la base du poids, du type de pièce, de sa qualité, mais aussi selon le marché mondial. En ce moment, de la vache de première qualité est rémunérée 30 centimes le kilo, ce qui représente une dizaine de francs pour une pièce de 30kg. Le veau est payé 4,25 francs, soit 80 francs environ pour une peau. Mais nous l’avons acheté jusqu’à 140francs par le passé», poursuit le directeur.
Car le cours des peaux suit logiquement celui de la viande, et donc de l’offre et de la demande. «À Pâques, nous recevons davantage de toisons de cabris, alors que dès le mois de novembre les pièces de bovins sont plus abondantes avec la saison des fondues chinoise et bourguignonne.» En 2022, Centravo a ainsi traité 850’000 peaux, toutes espèces confondues, pour un chiffre d’affaires de plus de 41 millions de francs.
Questions à...
Erich Rava, responsable communication pour le groupe Centravo
Sous quelle forme valorisez-vous les autres sous-produits de l’industrie de la viande?
La graisse propre à la consommation est fondue afin d’être utilisée dans l’alimentation humaine, les cosmétiques, les soins de la peau et l’industrie pharmaceutique. Les os permettent notamment de créer de la gélatine, une substance recherchée pour la confection de bonbons, entre autres.
Et qu’en est-il du non-alimentaire?
Les graisses sont employées dans la fabrication de lubrifiants ou de biodiesel. Les os, quant à eux, servent à faire de la colle pour l’industrie de transformation (entre autres, celle du bois). Ils sont également broyés et réduits en farines animales riches en phosphore et en calcium. Ils permettent par ailleurs de générer de l’énergie et du biodiesel.
Reste-t-il tout de même des déchets que vous ne pouvez pas valoriser?
Non, toutes les parties de l’animal sont exploitées. Même les cendres contenant du phosphore sont traitées et transformées notamment en engrais.
+ d’infos
www.centravo.ch
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