Décryptage
Une étude esquisse des pistes pour améliorer le bilan carbone des fermes

Pendant un an, dix-huit exploitations vaudoises ont été scrutées de près, afin de déterminer leur empreinte carbone. Ce nouveau calcul prend en compte leurs émissions de CO2 et celui qu’elles retiennent dans le sol.

Une étude esquisse des pistes pour améliorer le bilan carbone des fermes

Pas une semaine ne passe sans que l’impact environnemental de l’agriculture ne soit pointé du doigt comme étant l’une des causes principales du dérèglement climatique. Mais qu’en est-il réellement? Selon les derniers chiffres vaudois, la branche est responsable de 5,7% des émissions de gaz à effet de serre (GES) du canton. C’est bien moins que l’industrie (43,9%) et la mobilité (27,9%), par exemple. «En y regardant de plus près, on s’est aperçu que le fait que les exploitations puissent aussi être des puits de carbone – c’est-à-dire qu’elles absorbent naturellement le CO2 grâce à leurs prés et forêts – n’est pas pris en compte dans ces statistiques», explique Aude Jarabo, ingénieure agronome et coordinatrice Climat chez Prométerre.

Trois cents données étudiées
Partant de ce constat, une équipe de chercheurs de Proconseil, en collaboration avec le Canton de Vaud et la Haute école du paysage de Genève (HES-SO), a étudié de près 18 fermes vaudoises – sur les 4000 que compte le canton – pendant un an. Le but? Déterminer, scientifiquement et précisément, leur bilan carbone. Factures d’électricité et de carburants, nombre et âge des vaches laitières ou encore présence d’installations photovoltaïques ou de biogaz: au total, 300 données ont été compilées pour chaque exploitation, active en viticulture ou en grandes cultures. Elles ont ensuite été évaluées par des logiciels calculant leurs émissions de CO2 par kilo de lait, de viande vive (ndlr: de vaches) ou encore de raisin.

«Il en ressort que nos fermes laitières s’en tirent mieux que leurs homologues sur le plan européen ou mondial. Il y a de plus fortes variations avec celles produisant de la viande ou cultivant des céréales, détaille Aude Jarabo. Certaines émissions sont incompressibles, l’agriculture ne va pas résoudre à elle seule tous les problèmes. On voit en revanche que, pour ce type d’exploitations, il y a une marge de manœuvre pour améliorer leur bilan carbone, que l’on travaille en bio ou en conventionnel.»
L’ingénieure agronome a, par exemple, été surprise de constater qu’il est possible de produire de la viande avec une empreinte carbone négative. «En nourrissant le bétail à l’herbe et avec des compléments poussant sur le domaine, ainsi qu’en investissant dans des installations de production d’énergie renouvelable, les bilans changent radicalement», souligne Aude Jarabo.

Diagnostic complexe
Dans le cadre du projet, des chercheurs de l’HES-SO ont également prélevé des échantillons de terre afin de déterminer sa teneur actuelle en carbone. Ils ont ensuite estimé la capacité de séquestration des gaz à effet de serre de ces 18 fermes (lire l’encadré). «Chaque terrain est différent, avec plus ou moins de cailloux ou d’argile, ajoute Aude Jarabo. Mais on voit aujourd’hui que des exploitations sont de véritables puits de carbone. Elles ont déjà emmagasiné 162 tonnes d’équivalent CO2, ce qui correspond aux émissions d’une voiture ayant roulé plus de 1,3 million de kilomètres.»

Par curiosité, Sarah Challandes, agricultrice bio à La Mauguettaz (VD), a accepté de prendre part au projet. «La question du carbone reste très virtuelle, reconnaît-elle. C’était l’occasion de faire le point sur notre domaine. Ça nous a ouvert les yeux. On a découvert que le taux de matière organique de nos terres est vraiment très faible. On va étudier comment y remédier, c’est génial d’avoir cette information.» En feuilletant ce diagnostic complexe, elle a également eu la confirmation que la diversification de ses cultures, notamment avec des légumineuses, s’avérait positive. Tout comme la gestion de l’azote émis par les vaches, servant à fertiliser les sols, et la pose de panneaux photovoltaïques.

En comparant les résultats, Prométerre a mis en évidence des leviers pour améliorer l’assimilation des gaz à effet de serre dans les sols: il est notamment recommandé de moins labourer ou d’utiliser des couverts végétaux, notamment dans les vignes. Un usage optimisé des engrais de ferme à la place d’intrants minéraux est également préconisé, ainsi que la mise en place d’installations d’énergie renouvelable. «Ces mesures impliquent des investissements importants en matériel et en machines, conclut Aude Jarabo. Elles ne seront pas à la portée de tous, sans un soutien public ou privé.»

L’Association vaudoise de promotion des métiers de la terre compte lancer un label pour mettre en lumière ces empreintes carbone et veut élargir ce projet, qui intéresse déjà d’autres cantons. L’enjeu est grand: la Suisse s’est engagée, d’ici à 2050, à ne plus rejeter dans l’atmosphère plus de gaz à effet de serre qu’elle ne peut en absorber. Dans ce domaine, l’agriculture aura un rôle à jouer.

+ d’infos www.prometerre.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Florian Cella/Prométerre

Terres arables essentielles

Selon cette étude, le potentiel de séquestration des gaz à effet de serre issus de l’agriculture dans les prés, les forêts, les haies et les cultures s’avère considérable. Ces terres pourraient stocker, au cours des trente prochaines années, entre 4 et 6 millions de tonnes équivalent CO2 – cette notion prend également en compte le méthane, 28 fois plus nocif que le carbone, et le protoxyde d’azote émis lors de l’épandage d’engrais azotés, 265 fois plus impactant selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Les terres argileuses piègent particulièrement bien ces gaz.

Questions à...

Pascal Boivin, docteur en sciences du sol à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HES-SO)

Quelle est l’importance de ce type de projet?
Depuis la COP21, on sait que les sols contiennent sous forme d’humus l’équivalent de 4000 fois le CO2 émis annuellement. Ce constat a permis que l’on se penche sur la question de la séquestration du carbone dans les terres agricoles.

Comment évaluer le taux de CO2 déjà piégé?
On a mis au point la technique permettant de chiffrer le stock d’humus. Comme 80% de son évolution sur les 50 prochaines années se fera dans les 30 premiers centimètres, on procède à des carottages. Notre méthodologie se réfère à la masse d’une couche de sol, car on ne peut pas procéder à des prélèvements à la même profondeur lors d’un suivi tous les cinq ans environ. Entretemps, le sol va gonfler ou se rétracter avec la teneur en eau, notamment. Comparer des valeurs à masse constante est beaucoup plus fiable.

Comment améliorer les capacités de stockage des sols?
En soignant leur qualité et donc tous les services qu’ils rendent. Les terres ouvertes, les vignes, les vergers et les prairies ont un grand potentiel de séquestration de carbone.