Science
Un laser pour contrôler la foudre installé au sommet du Säntis

Des chercheurs vont installer un puissant laser à 2502 mètres d’altitude ces prochaines semaines. Leur but est d’évaluer les capacités de ce paratonnerre unique pouvant capter les éclairs au plus près des nuages.

Un laser pour contrôler la foudre installé au sommet du Säntis

L’antenne rouge et blanc planté sur le Säntis concentre tous les regards. Mais elle attire aussi particulièrement la fureur du ciel. Chaque année, elle est frappée par 100 à 400 éclairs, ce qui fait d’elle la structure la plus touchée du pays, voire du continent, par la foudre. Il n’en fallait pas moins pour que cette tour de 124 mètres de haut devienne une base de recherches scientifiques européenne. «Il n’existe que trois ou quatre sites aussi favorables sur le continent», relève Jean-Pierre Wolf, professeur à la section de physique de la Faculté des sciences de l’Université de Genève, chargé de ce projet. Cet été, son équipe passera quatre mois sur ce sommet emblématique pour tester une invention sur laquelle elle travaille depuis vingt ans: un paratonnerre laser.

Dégâts chiffrés en milliards
L’appareil de 8 mètres de long et deux de large a été installé dernièrement près des antennes de l’opérateur de télécommunications Swisscom, sous une tente climatisée et étanche. Un télescope externe permettra de focaliser le faisceau laser à la bonne distance. «Les paratonnerres traditionnels fonctionnent très bien depuis leur invention par Benjamin Franklin (ndlr: en 1752), explique Jean-Pierre Wolf. Mais leur rayon d’action est limité à une maison, par exemple. Pour protéger des sites sensibles comme les aéroports, les pas de lancement de fusées ou les centrales électriques, nous cherchons une autre solution.»

Ce projet, baptisé Laser Lightning Rod, réunit des scientifiques européens ainsi que des partenaires de poids comme l’École polytechnique de Paris, Trumpf lasers ou Airbus, tous intéressés à limiter l’impact des orages. Car, aussi fascinante qu’elle soit, la foudre provoque d’importants dommages. Outre les 6000 à 24000 personnes qu’elle tue chaque année, elle paralyse par exemple des aéroports, entraînant des retards ou le déroutement de vols. À l’échelle européenne, l’ensemble de ces dommages se chiffre annuellement en milliards de francs. Les chercheurs espèrent que leur travail permettra de réduire cette facture.

Un été de tests
Une fois branché, ce paratonnerre inédit sera testé de juin à septembre, lors de la haute saison des orages. Ce laser de grande puissance devrait permettre de canaliser la foudre grâce à son faisceau vertical pouvant se déployer de 100 mètres à 1 kilomètre du sol, au plus près des cumulonimbus. Les chercheurs le dirigeront vers les orages et évalueront sa capacité de guider la foudre par le réchauffement et l’ionisation de l’air. Ce procédé devrait le rendre conducteur, comme l’est une tige métallique. «Les éclairs font des bonds, ils se déplacent en suivant des chemins erratiques, indique Jean-Pierre Wolf. On leur proposera de suivre une voie directe vers le sol, en les appâtant en quelque sorte.» Pour le moment, l’énergie qu’ils génèrent terminera son parcours dans la terre, mais, à terme, les scientifiques souhaiteraient trouver un moyen de la récupérer puis de la valoriser.

Centre de recherches reconnu
Le laser n’est pas la seule technologie œuvrant sur le Säntis, devenu aujourd’hui l’un des centres expérimentaux les plus importants du monde dans la recherche sur la foudre. D’autres instruments de mesure y sont exploités en permanence par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (ÉPFL) et la Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD), notamment. «Nous sommes équipés d’appareils qui permettent de mesurer le courant de la décharge de foudre, détaille Farhad Rachidi, à la tête du Laboratoire de compatibilité électromagnétique de l’ÉPFL. Nous avons également installé des équipements mesurant le champ électromagnétique, une caméra rapide sur le Mont-Kronberg, ainsi que des capteurs de rayons X et gamma. Nos collègues de l’Université américaine de New Mexico Tech viendront également avec un équipement interférométrique qui permet de visualiser les décharges à l’intérieur des nuages.»

Si le succès est au rendez-vous, ce nouveau paratonnerre laser constituera une avancée majeure dans la recherche sur la foudre. Il aura un impact certain sur les futurs systèmes de protection contre les orages des sites sensibles à travers le monde, estiment les chercheurs. «Les résultats obtenus permettront aussi de mieux comprendre les phénomènes physiques en jeu, résume Farhad Rachidi. À l’heure actuelle, même la question la plus fondamentale de savoir comment la foudre est déclenchée à l’intérieur d’un nuage n’est toujours pas bien comprise.»

+ D’infos www.unige.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): UniGe/DR

La foudre frappe 150'000 fois par an

Sur le Plateau suisse, on mesure chaque année entre 1 et 2,5 impacts de foudre par kilomètre carré indique MétéoSuisse, précisant que c’est surtout près des crêtes et des sommets qu’elle tombe. Le record revient au sud du Tessin avec plus de 3 impacts par an par kilomètre carré. On estime qu’il y entre 60‘000 et 80‘000 éclairs qui frappent la Suisse annuellement; cela sans compter les éclairs secondaires qui les accompagnent. En tout, la foudre frapperait notre pays plus de 150000 fois, par an ce qui place la Suisse aux avant-postes en Europe. Mais c’est le lac de Côme, près de Lecco, qui détient le record avec plus de 6,5 éclairs par an et par kilomètre carré; toutefois, les orages sont les plus fréquents sous les tropiques et dans les régions subtropicales. L’Afrique est le continent le plus concerné. Mais la région qui reçoit le plus d’impacts n’est pas, comme l’ont longtemps supposé les météorologues, le bassin oriental du Congo, mais le lac de Maracaibo, au Venezuela.

+ D’infos www.meteosuisse.ch

Rayon recyclé

Lorsqu’il sera redescendu du Säntis, ce laser pourrait être reconverti en moyen de communication innovant. L’Université de Genève étudie en effet son utilisation future pour améliorer le transfert de données entre le sol et les satellites. «La lumière sert parfois à remplacer les radios-fréquences mais sa capacité diminue lorsqu’il y a de la brume, explique le professeur Jean-Pierre Wolf. On pourrait donc se servir de ce laser pour trouer les nuages, créant ainsi des canaux pour favoriser, à terme, la transmission d’information par ces faisceaux lumineux.»