Reportage
Les légumes prospèrent plus près du ciel

Depuis le début de l’été, les résidents du nouveau quartier Oassis, à Crissier (VD), peuvent cultiver des légumes sur le toit des immeubles. Rencontre lors d’un atelier de jardinage proposé par des agriculteurs urbains.

Les légumes prospèrent plus près du ciel
La porte du jardin s’ouvre sur un potager luxuriant où tomates, poivrons et maïs se poussent des coudes jusqu’en haut des tuteurs et où des melons mûrs à point débordent des bacs pour s’offrir aux mains gourmandes. En fin d’été, ce spectacle n’aurait rien d’insolite si la porte en question n’était celle d’un ascenseur et si le jardin ne surplombait pas de quatre étages les cours intérieures du nouveau groupe d’immeubles du quartier Oassis, à Crissier. Au-delà des barres de verre et de béton, le panorama sur le lac et les montagnes est grandiose et, au milieu de toute la végétation illuminée par le soleil du soir, on parvient même à oublier le bruit du trafic des grands axes tout proches.
Un projet de longue haleine
Quelques familles sont là qui s’affairent à l’arrosage ou à la cueillette des légumes du souper. Des enfants courent entre les bacs, picorant ça et là des tomates cerises. Mais ce soir est particulier: rendez-vous a été pris pour le premier atelier de jardinage proposé aux habitants par les Légumes perchés, une entreprise dédiée à l’agriculture urbaine, créée en 2018 par une équipe de jeunes passionnés de jardinage, permaculture et cuisine. «C’est le bon moment pour présenter les semis et plantations des légumes d’automne. Une vingtaine de personnes se sont inscrites à l’atelier. Certaines louent déjà un bac ici ou sur un immeuble voisin, d’autres envisagent de le faire dès qu’elles emménageront dans leur appartement ou préfèrent attendre le printemps prochain», souligne Thomas Verduyn, directeur des Légumes perchés.Au total, 83 bacs de 4 m2 ont été répartis sur les toits de trois immeubles et tous sont déjà croulants de légumes, plantés, arrosés et bichonnés dès la mi-mai par Thomas et ses collègues, tandis que les premiers locataires s’installaient. Souhaitée par les promoteurs dès la genèse du quartier, la création de ces potagers a été mûrement réfléchie: «Les architectes avaient déjà pris les dispositions nécessaires pour les surcharges statiques, les accès et les arrivées d’eau, et nous avons peaufiné les mesures avec l’ingénieur civil l’an passé. Comme c’est notre premier projet en toiture, nous avons passé beaucoup de temps à nous renseigner sur ce qui se fait déjà dans ce domaine à Paris et Montréal. Notre objectif est que les habitants puissent produire eux-mêmes des légumes bios, à deux pas de chez eux.

Minipotagers à louer
Au-delà des aspects écologiques et environnementaux, cette initiative a aussi une belle dimension sociale, car le jardin, qu’il soit au sol ou sur les toits, est un chouette lieu de rencontre, d’échange et de partage avec ses voisins. Nous allons accompagner le projet pendant une année ou deux, mais l’idée est que les jardiniers puissent se débrouiller et s’organiser sans nous rapidement», insiste Thomas Verduyn, qui a rejoint l’association de quartier.En pratique, les jardins sur les toits sont accessibles à tous les habitants en tout temps. Sur chacun des immeubles, 2 ou 3 bacs sont réservés aux restaurants des rez-de-chaussée, 5 ou 6 serviront de terrains d’essai aux Légumes perchés et un bac est communautaire. «Tous les autres sont à disposition des habitants moyennant un forfait de 35fr. par mois. S’ils le souhaitent, les locataires peuvent également s’inscrire à des formules de 6, 9 ou 12 ateliers de jardinage par année, histoire d’apprendre à cultiver mais aussi à conditionner leurs récoltes au fil des saisons», relève Thomas Verduyn. Une trentaine de bacs sont déjà loués et les demandes affluent, car de nouveaux locataires emménagent et le bouche à oreille commence à bien fonctionner. Bien sûr, il n’y aura pas un bac disponible pour chacun des 650 appartements que compte le nouveau quartier, mais des potagers seront aussi créés au niveau du sol, pour la crèche et les résidents.Pour l’heure, au sommet de l’immeuble 11C où se déroule l’atelier, l’ambiance est à la fois récréative et attentive autour des bacs potagers bien fournis. Locataire depuis juillet, Carine ne cache pas son enthousiasme: «Cela fait un mois que je n’ai pas acheté de légumes, les melons sont délicieux et mon petit garçon se gave de tomates. J’espère lui faire aimer autant les variétés d’hiver que nous cultiverons ensemble!». Constantin, l’animateur du jour, explique tout l’intérêt d’associer les légumes selon leur vitesse de croissance, leur taille et leur emprise au sol, dévoile les secrets du semis et met déjà en garde contre certains ravageurs et maladies qui ne manqueront pas de débarquer dès qu’ils trouveront cette bonne adresse. Les questions fusent, les échanges passionnent, mais, comme le soleil décline, il est temps de passer à la pratique. Yves et Jeannette, qui viennent d’acquérir un bac, ne se font pas prier, même si c’est la première fois qu’ils jardinent: «On se réjouit de pouvoir travailler la terre avec nos deux filles et de voir pousser ce que l’on sème. On va essayer de se débrouiller sans accompagnement, mais si c’est trop compliqué, on suivra quelques ateliers. On compte bien sûr aussi sur l’entraide entre voisins de bacs!»

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Aino Adriaens/Thomas Verduyn

Conteneurs et substrats sur mesure

Les bacs de 1,3 x 3 m ont été réalisés en bois de mélèze alpin, mais ne sont pas fermés au fond: leur cadre est posé sur un système de végétalisation de toiture avec godets de rétention d’eau et géotextile. Le substrat est composé d’une couche drainante de 15 cm de perlite et de 35 cm de terreau Ricoter. La surcharge pondérale, qui est de 200 kg/m2, a été prise en compte dès la conception des bâtiments. Les bacs sont arrosés manuellement par les jardiniers grâce aux prises d’eau sur le toit. «Vu la chaleur qui règne ici en été, nous devons arroser tous les deux jours au moins. Nous ignorons encore combien nous avons consommé d’eau, mais, dans le cadre de notre Laboratoire d’agriculture urbaine, nous étudions déjà des systèmes de rétention d’eau plus performants et d’arrosage par capillarité», précise Thomas Verduyn, directeur de Légumes perchés S. à r.l.

+ D’infos www.legumesperches.ch