Objet de discorde en France, l'acétamipride est sur la sellette en Suisse
Les enjeux
Interdit en France, l’acétamipride a failli être réintroduit avec la contestée Loi Duplomb.
Ce néonicotinoïde est autorisé en Suisse, mais les seuils de résidus ont été abaissés. Un réexamen des produits concernés est en cours.
Une étude romande de 2021 démontre la présence de cette substance toxique dans la zone du cerveau des enfants.
Cet été, plus de deux millions de Français signaient une pétition contre la Loi Duplomb, afin de lutter, entre autres, contre la réintroduction de l’acétamipride, un insecticide toxique pour les pollinisateurs, interdit dans le pays depuis 2018. Si ce soulèvement historique a porté ses fruits – conduisant à la censure d’une partie du texte –, ce néonicotinoïde est toujours autorisé dans l’Union européenne. En Suisse, il est utilisé dans certaines cultures de fruits et légumes contre la mouche de la cerise ou l’anthonome du pommier, ainsi qu’en traitement d’urgence face au puceron vert dans la betterave.
Réexamen en cours
Ainsi, un peu plus d’une tonne de cette substance active a été vendue en 2023. Si ce chiffre est en baisse, il est bien plus élevé que dans les années 2010, où seules quelques centaines de kilos étaient commercialisés. Malgré tout, les quantités actuelles épandues restent faibles comparées à d’autres pesticides comme le glyphosate, dont près de 75 tonnes ont été écoulées en 2023. Actuellement, moins de 4% des surfaces de betteraves sucrières du pays sont traitées à l’acétamipride pour combattre la jaunisse virale transmise par les pucerons verts.
Ces prochains mois, ces quantités pourraient encore diminuer. En juillet, la Suisse s’est alignée sur les nouvelles dispositions européennes, divisant par cinq les seuils de résidus d’acétamipride autorisés dans les fruits et légumes vendus dans le pays, avec application au 1er janvier. Parallèlement, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires a lancé une procédure de réexamen ciblée des produits contenant cette substance, portant sur les risques pour la santé humaine et l’environnement. «En fonction des résultats, des adaptations seront apportées. Leur utilisation pourrait même être totalement interdite pour certaines indications», déclare l’OSAV.
Dans le cerveau des enfants
Pour le biologiste Alexandre Aebi et le pédiatre Bernard Laubscher, c’est un pas dans la bonne direction. Coauteurs d’une étude pionnière des universités de Neuchâtel et Lausanne en 2021, mobilisée dans les débats français et européens, ils ont démontré la présence de résidus d’acétamipride dans le liquide céphalorachidien des enfants, soit autour du cerveau. «Treize patients sur quatorze étaient contaminés. Nous ne nous attendions pas à de tels résultats. On ne sait pas encore quel est l’impact de ces molécules, mais le risque de troubles neurologiques est important», assure le médecin. Pour Alexandre Aebi, le principe de précaution doit primer. «Dans ces conditions, l’utilisation de cette substance doit cesser. Il n’y a pas de dose acceptable.»
Malgré les mises en garde scientifiques, la possible interdiction de l’acétamipride inquiète l’organisation Fruit-Union Suisse. «La production n’est pas possible à long terme sans protection efficace. Il existe des alternatives, mais elles sont moins efficaces et nécessitent plusieurs traitements», expose le vice-directeur Edi Holliger, qui s’inquiète que deux demandes d’homologation d’urgence aient déjà été refusées entre 2024 et 2025. «Nous avons bien sûr suivi l’actualité française, mais l’utilité des produits phytosanitaires a été oubliée dans ce débat.»
Les alternatives manquent car l’État n’a pas pris le problème à temps et n’accompagne pas suffisamment les paysans.
De leur côté, les betteraviers craignent une baisse de rendement, comme ce fut le cas en 2020 lors de l’interdiction de l’insecticide Gaucho. «Entre 30 à 50% de pertes ont été enregistrées, ce qui avait fait augmenter les importations de sucre. Aujourd’hui, grâce à une stratégie de lutte efficace et un monitoring des pucerons, l’utilisation d’acétamipride est contrôlée», affirme Nicolas Wermeille, gérant de la Fédération suisse des betteraviers. Par ailleurs, l’objectif de la filière est de se passer de cette matière active, en sélectionnant des variétés résistantes. «Deux sont déjà disponibles. Leur rendement est encore faible, mais ce travail prend du temps. Il ne faut pas baisser les bras.»
Du courage politique
Si l’OSAV s’est depuis peu emparé de la question, la Confédération a longtemps botté en touche. Dans une interpellation au Parlement en 2021 demandant plus de moyens en faveur de la recherche suite à la publication de l’étude neuchâteloise, le conseiller fédéral Guy Parmelin répondait par la négative, affirmant que «les néonicotinoïdes utilisés conformément aux prescriptions n’ont pas d’effet délétère sur la santé humaine».
Pour la conseillère nationale Delphine Klopfenstein Broggini, qui suit le dossier depuis des années, cette réaction n’est pas surprenante. «La Suisse attend toujours que l’Europe légifère avant de se prononcer. C’est un manque de courage politique. Sans compter que notre pays compte des lobbies puissants dans la chimie, ainsi qu’un milieu agricole bien représenté au Parlement, souligne la verte genevoise, qui ajoute que «de plus en plus de paysans disent être inquiets, car ces substances toxiques appauvrissent les sols et tuent les pollinisateurs, ce qui n’est pas dans leur intérêt à long terme».
Alexandre Aebi salue toutefois la bonne volonté de certaines filières. «Les betteraviers cherchent des solutions en collaborant avec la faîtière apicole, mais les alternatives manquent. Il y a une faillite de l’État, qui n’a pas pris le problème à temps et n’accompagne pas suffisamment les agriculteurs, ainsi qu’une défiance envers la science», pointe-t-il. Et de conclure, à propos de la situation française: «ce soulèvement est réjouissant, mais n’a pas atteint la Suisse. Pourtant, le retour en arrière contre lequel les Français se sont mobilisés est notre normalité.»