L’architecte devenu vigneron offre à la ville de Berne son propre cru
On vendange à nouveau en plein cœur de Berne! Quatre cents ans après la disparition du dernier vignoble au sein de la ville, Vitis vinifera a recolonisé les coteaux de la capitale helvétique. On doit cette renaissance à Matthias Rindisbacher, un Bernois de 67 ans au parcours atypique, qui a planté, en 2017, 1,4 hectare de vigne sur le versant sud du Schönberg. Dans cet endroit improbable, coincé entre l’autoroute, une boucle de l’Aar et un quartier de villas, 7000 pieds de sauvignac, un cépage blanc résistant aux maladies cryptogamiques, s’y épanouissent depuis six ans.
Immanquables depuis le haut de la parcelle, les courbes caractéristiques du musée Paul Klee font comme un écho à ce coteau qui a immédiatement séduit Matthias Rindisbacher. «La pente, l’exposition sud-est, la nature du terrain morainique et gréseux, la présence d’un courant d’air permanent parcourant ce vallon rejoignant l’Aar: tout est réuni pour que la vigne prospère à cet endroit», affirme l’ex-architecte, qui avait connaissance de cette parcelle depuis les années 1980. «Je savais que ce terrain agricole demeurerait inconstructible. Quand mon projet de reconversion s’est concrétisé, ça m’a semblé évident de venir m’implanter ici.»
Changement de cap
«Je suis passionné par la vigne et le travail de la terre depuis l’enfance», explique celui dont les parents possédaient un «rustico» entouré de parchets et équipé d’une cave au Tessin. Des années 1960 aux années 2000, enfant puis adulte, il consacre une bonne partie de son temps libre aux travaux de vigne et de vinification du merlot. Au tournant des années 2000 cependant, fatigué d’être mis sous pression dans le cadre de son activité d’architecte et de manquer de temps pour accompagner sereinement des projets de rénovation ou de construction, il décide de faire de la viticulture son unique activité. Matthias Rindisbacher suit alors plusieurs formations, en cours du soir, afin de parfaire ses connaissances théoriques et pratiques.
En 2004, il déménage la cave familiale et l’installe dans un ancien atelier, à Kirchenfeld, le quartier des ambassades, en plein cœur de Berne. Il transforme ensuite, moyennant de longues négociations avec le canton pour en obtenir l’autorisation, un demi-hectare de terrain agricole familiale à Seftingen (BE) en un vignoble constitué de cépages rouges et multiplie les essais de vinification à la cave. «Petit à petit, j’ai réussi à me constituer une clientèle locale, aussi bien de particuliers que de restaurants, confie celui qui a accumulé les reconnaissances au Grand Prix du vin suisse et au Mondial du merlot. Tous ont répondu favorablement à l’élargissement de ma gamme avec l’arrivée d’un vin blanc l’an passé.»
En chiffres
0,9 hectare, soit la surface que compte Weinmanufaktur à Seftigen (BE) en pinot noir, cabernet, cabernet dorsaz.
0,4 hectare à Monte Carasso (TI) en merlot.
1,4 hectare à Berne en sauvignac.
6 vins vinifiés en ville de Berne.
Cépage interspécifique
Quand le projet de vigne urbaine a pris forme en 2017, Matthias Rindisbacher a opté pour le sauvignac, un cépage interspécifique obtenu par le Jurassien Valentin Blattner, dont les 7000 pieds ont été plantés en rangées espacées de 1,90 mètre, dans un terrain laissé volontairement enherbé. «Je suis un grand amateur de rieslings allemands et je rêvais de proposer un vin construit et solide, tout en gardant fraîcheur et arômes, de façon à prouver que le blanc ne se boit pas qu’à l’apéro.»
Si quatre années ont été nécessaires pour mener le projet, négocier les autorisations et trouver les financements avant la plantation, il a fallu patienter cinq années supplémentaires avant de rentrer la première vendange. «La sécheresse, la grêle et les gels tardifs ont retardé la croissance et le développement serein des plants», glisse Matthias Rindisbacher, dont passion et patience ont été mises à rude épreuve.
Première mise en bouteilles
Désormais, la vigne est irriguée au goutte-à-goutte et équipée de filets antigrêle. En 2022, la vendange a permis de produire 7000 bouteilles. «Les terres ont longtemps été travaillées selon des pratiques conventionnelles, je paye encore les effets du compactage, de l’absence de biodiversité», explique le Bernois, qui ne recourt ni aux phytos ni aux engrais de synthèse.
Vendangés pour la première fois l’an dernier, élevés en partie en fûts de chêne, ses crus nommés «Troublant» font référence au lieu-dit Wyssloch, signifiant «trou blanc» en français, bien que Matthias Rindisbacher ne vise pas spécialement le public francophone et filtre ses vins de manière conventionnelle. «Mon prochain objectif est de travailler la parcelle selon les préceptes de la biodynamie, confie le sexagénaire, qui poursuit à la vigne comme à la cave un objectif d’harmonie. La viticulture possède en commun avec l’architecture la recherche de l’équilibre des lignes et de l’accord parfait des proportions dans un tout équilibré et esthétique.»
Des parchets proches des lacs
Les quelque 250 hectares du vignoble bernois sont essentiellement situés sur les rives du lac de Bienne, caractérisées par des sols calcaires et des terrains escarpés. Du côté du lac de Thoune, au pied du massif formé par l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau, on compte une vingtaine d’hectares répartis sur deux régions (Spiez et Oberhofen). Une douzaine de vignerons y cultivent riesling sylvaner, pinot noir, regent, cabernet jura et cabernet dorsaz et bénéficient d’une appellation d’origine contrôlée depuis 2010. «Il y a 200 ans, la vigne recouvrait encore 250 hectares dans la région», rappelle Matthias Rindisbacher.
+ d’infos
www.thunerseewein.ch
www.weinmanufaktur.ch
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