Cette bouteille de verre renferme un élixir anti-âge tout juste primé par un jury international aux European Natural Beauty Awards. Il est l’œuvre de la jeune marque Belle Luce, qui travaille uniquement avec des extraits naturels de plantes locales du val de Bagnes (VS).
Deux ans et demi de recherche
«C’est une belle reconnaissance pour les deux ans et demi de recherche et développement qui ont précédé la création de ce produit. La cosmétique coréenne est très tendance, c’est donc beau de mettre en avant le savoir-faire suisse», réagit Mildred Dandelot, fondatrice de Belle Luce. «Il est important pour moi de travailler les matières premières qui nous entourent plutôt que d’en importer. Je me suis rendu compte que les plantes alpines avaient énormément de propriétés, mais que l’on était mal informé à leur sujet.»
Belle Luce n’est bien sûr pas la seule firme à s’être penchée sur les plantes de l’arc alpin. Des marques suisses bien établies telles que L’Alpage, Valmont ou Jardins des Monts en ont fait leur credo depuis plusieurs années, sans oublier la «grande sœur» Weleda, qui a récemment sorti sur le marché une gamme de produits à base de gentiane. L’edelweiss reste cependant la star et entre dans beaucoup de recettes cosmétiques.
Plante star
«L’edelweiss a une certaine aura, elle représente les Alpes par excellence et possède des propriétés antioxydantes. Elle est aussi plutôt simple à cultiver. Mais il y a d’autres espèces intéressantes en cosmétique: l’impératoire, qui est cicatrisante et que l’on utilise depuis le Moyen Âge, le calendula pour apaiser, la camomille matricaire, la consoude, etc.», énumère André Mottier, chef des cultures pour Jardins des Monts. Installée à Rossinière (VD), la marque possède son jardin perché à 1400 m d’altitude où s’épanouissent les variétés qui composent baumes, crèmes et savons.
Il y a un réel potentiel, car le réservoir est grand et on ne prospecte que sur une petite partie.
Si chaque plante alpine possède ses particularités, toutes ont en commun une certaine résistance due à leur milieu naturel. «Les plantes alpines sont soumises à de fortes expositions aux UV, elles développent donc des molécules pour se défendre et lutter contre ces radiations. C’est ça que l’on recherche», détaille Julien Héritier. L’ingénieur est aussi directeur de Mediplant, centre de recherche et de compétences sur les plantes alpines et médicinales, qui collabore étroitement avec Agroscope.
Passer par la terre
Concrètement, Mediplant développe des extraits de plantes pour des clients comme Belle Luce. Mais avant de pouvoir accéder aux demandes des marques et donc aux laboratoires, il faut passer par la terre. Et ça, c’est l’affaire du secteur des plantes médicinales et aromatiques d’Agroscope.
«Nous sommes l’interface entre celui qui veut utiliser la plante et le producteur. On doit concilier ces deux attentes: le producteur a des contraintes saisonnières, de culture, de coût, et le demandeur aura peut-être des contraintes de qualité, de quantité ou de label», énumère Xavier Simonnet, collaborateur scientifique.
C’est ce pôle d’Agroscope qui est parvenu à domestiquer l’edelweiss afin de développer une variété cultivable, au terme d’un processus d’observation et de sélection sur près de dix ans. La saxifrage à col rond, elle, est l’une des dernières variétés à avoir été travaillées par l’institution. Il a fallu cinq ans pour l’amadouer.
Potentiel important
«La recherche en plantes alpines pour la cosmétique représente une part non négligeable de notre travail. Nous avons régulièrement de nouvelles demandes. Et je pense qu’il y a un réel potentiel, car le réservoir est grand et on ne prospecte que sur une petite partie», relève Xavier Simonnet.
En Suisse, le Valais demeure le principal terrain de jeu pour la culture des espèces médicinales et aromatiques. Environ 70% d’entre elles y prospèrent. À titre d’exemple, la coopérative Valplantes, qui cultive beaucoup d’edelweiss, a étoffé sa surface de production pour la cosmétique de 1% à 10% en dix ans.
S’adapter au dérèglement du climat
Mais une ombre plane. Les aléas du dérèglement climatique peuvent représenter une menace pour ces cultures parfois fragiles. Cette problématique a fait l’objet d’un colloque organisé par Mediplant le 21 novembre dernier. «À l’état sauvage, on assistera certainement à une redistribution de ces différentes plantes selon l’altitude. Certaines vont sûrement disparaître et d’autres apparaître. Pour ce qui est des cultures, on devra, c’est vrai, combattre les éléments changeants», explique Julien Héritier.
Chacun s’accorde sur ce point: il faudra être réactif pour espérer conserver de bonnes cultures. Mais les plantes, elles, s’adapteront. «La nature s’est toujours habituée. Ici, à 1400 m, on cultive un petit peu de marjolaine, une plante méditerranéenne. Malgré l’exposition plein sud, il est illusoire d’en produire beaucoup. Mais peut-être que dans dix ans, ce sera très différent», conclut André Mottier.
