Nouveau cap pour un vigneron épris de liberté et de grand air
En contrebas, le Léman brille d’un éclat huileux sous le soleil matinal. Bruit du vent dans les feuilles qui habillent les vignes d’un vert encore tendre, murmure de l’autoroute plus haut dans le coteau, bourdonnement d’un moteur qui s’approche, toujours plus fort, puis le petit tracteur rouge apparaît en bringuebalant, dedans une haute silhouette tout juste calée dans la cabine trop exiguë.
Pile à l’heure. Fabien Vallélian s’extrait de l’habitacle, retire son casque antibruit, solide poignée de main, chien qui court entre les jambes, café fumant dans la fraîcheur de la cave.
Toujours entre ceps et cave
Il revient de la vigne, forcément, Fabien Vallélian, il y est tous les jours au printemps, quand il faut ébourgeonner, passer la vigne dans les fils avant les effeuilles qui se profilent déjà. Le reste de l’année aussi d’ailleurs. «La vigne, ça pousse tout le temps. À l’origine, c’est une plante qui s’épanouit en forêt, une vraie liane. Il faut composer avec ça, ne pas trop la contraindre, au risque de perdre toutes ses aromatiques. Si tu la forces, tu auras de l’eau et du sucre à la vendange, rien d’autre.»
Du haut de ses 36 ans, Fabien Vallélian a l’assurance tranquille de ceux qui ont roulé leur bosse ici et là jusqu’à atterrir pile où ils devaient se trouver, même si c’est presque au point de départ. Ça commence dans les vignes, à Cully, Duillier et Villeneuve, avant le domaine des Faverges, à Saint-Saphorin (VD). «Mes parents ont bien essayé de me faire faire autre chose, mais ça n’a pas marché.»
Tour du monde
Ses souvenirs ont l’odeur doucereuse du raisin mûr et du lait dans lequel il trempe son pinceau pour coller les étiquettes pendant ses après-midi de congé. Gamin, le Vaudois est toujours entre les ceps et la cave, se glisse parmi les employés du paternel pendant les vendanges. «Ce qui me plaisait surtout, c’était le côté convivial du boulot.»
Trente ans plus tard, cette convivialité est toujours aussi importante pour Fabien Vallélian. Entre-temps, il a appris le métier en bourlinguant de La Neuveville (NE) à Jenins (GR), a passé un BTS viti-œno à Mâcon, a travaillé dans le conseil œnologique à Genève, est parti un an et demi en Nouvelle-Zélande. «J’avais été scotché par une photo de palmiers entourés de vignes. Je me suis dit: il faut que j’y aille! J’ai une grande gueule, mais je tiens parole, donc j’y suis allé.»
Son univers
Un cépage
«Le gamay. Le roi des rouges, et le premier que j’ai vinifié en nature, tiré de la vigne du grand-père.»
Une émission
«Les Dicodeurs. Je les écoute chaque jour à la vigne.»
Un pays
«La Nouvelle-Zélande. Un lieu qui m’a beaucoup marqué. Ce voyage a aussi été la première fois que je quittais le cocon familial.»
Un plat
«Une tartelette au verjus. On peut tout faire avec, des sauces aux desserts en passant par les cocktails!»
Précurseurs du bio
C’est à l’autre bout du monde qu’il découvre la biodynamie. «J’ai appelé mon père pour lui dire qu’on devait s’y mettre, il était arrivé à la même conclusion. On s’est retrouvés là-dessus.» Le père, c’est Gérald, syndic de Saint-Saphorin, adepte de la première heure du bio, des vignes enherbées et du travail du sol un rang sur deux. «On s’entend bien. Alors bien sûr, on s’engueule souvent, mais on arrive toujours à se parler!»
C’est un peu plus loin sur le coteau que l’histoire familiale continuera de s’écrire: alors que les Vallélian travaillent les 15 hectares des Faverges depuis vingt ans, l’État de Fribourg, propriétaire du domaine, a annoncé ne pas renouveler leur mandat. Passé la surprise vient le temps de se retourner. En septembre, Fabien reprendra en location le domaine d’un autre grand nom de la viticulture durable, celui de Pierre Fonjallaz, à cheval entre les appellations «Calamin» et «Dézaley», 3 hectares seulement, plus de liberté mais plus de pression aussi.
Ambassadeur du vin nature
«Tu veux aller voir la vigne?» Sans autre transition que quelques minutes de zigzags sur ces routes qui semblent suspendues au-dessus du lac, nous voilà entre les ceps accrochés à la roche, dans la tiédeur que renvoient les murs sans âge des terrasses. Les coquelicots font des explosions de rouge dans le vert des hautes herbes. Une vigne libre, un peu rebelle, comme le grand gaillard qui la couve d’un regard tendre.
Mes parents ont bien essayé de me faire faire autre chose, mais je revenais toujours à la vigne.
«Ce qui est génial en tant que vigneron, c’est que tu fais tout, de la biologie au marketing. Tu n’as jamais fini d’apprendre et de te remettre en question.» De quoi nourrir l’insatiable curiosité de cet artisan qui n’aime rien tant que tester de nouvelles méthodes, à la vigne comme à la cave. Après s’être fait la main sur des cuvées traditionnelles, il pousse l’expérimentation dans les vins nature, se fie à son intuition, augmente les durées de cuvage de ses chasselas, laisse muter son garanoir, vendange des parcelles avant maturité pour produire du verjus, lance un jus de raisin pétillant.
Un homme engagé
Et s’engage pour la cause: BioVaud, Vigne&Avenir, BioAgri, BioVino, on ne compte plus les associations et manifestations dans lesquelles il s’implique. S’y ajoute désormais la présidence de l’Association suisse vin nature. «Je dis que je vais lever le pied, et je me retrouve chaque année à en faire un peu plus, confie en souriant celui qui rêve parfois d’avoir plus de temps pour pratiquer la voile, lui qui a plusieurs fois disputé le Bol d’or. Mais les échanges et les rencontres, ça m’apporte beaucoup.»
S’il endosse volontiers ce rôle d’ambassadeur d’une viticulture plus naturelle, c’est parce qu’il est convaincu que c’est là que se trouvent certaines des réponses qui permettront à la branche d’assurer son avenir. Un regard vers le lac désormais froissé par un petit vent. La navigation attendra, la vigne non.
+ D’infos happyfaby.ch
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