L'homme qui regarde au-delà des nuages, à la vie comme à l'écran

Visage de la météo en Suisse romande, le présentateur vedette va s'éclipser en 2026. Autodidacte et passionné, ce natif de Bienne, amoureux du Léman, revient sur son parcours riche en anecdotes.
13 décembre 2025 Juliette Galeazzi
© Fabien Scotti

À 65 ans, Philippe Jeanneret se déplace à moto noire et rouge comme lorsqu’il était adolescent. Les années ne semblent pas avoir de prise sur celui qui, depuis près de trente-sept ans, annonce la pluie et le beau temps à la Radio Télévision Suisse (RTS).

Il retire son casque, scrute le ciel qui s’est voilé ce matin au-dessus de Genève après de splendides journées d’automne. «Les températures ont baissé.» En contrebas, le lac s’étale d’un bleu-gris. «Il y a souvent un épisode doux en novembre.»

Clarté, précision, humour

Chez lui, commenter le temps qu’il fait est une seconde nature, évoquer celui qui passe, un exercice auquel il se livre volontiers. Dans quelques mois, au deuxième semestre 2026, Philippe Jeanneret présentera son ultime bulletin. «Sauf changement de calendrier, mon dernier jour coïncidera avec le dernier téléjournal enregistré à Genève», note-t-il, sensible au symbole.

Né à Bienne le 1er décembre 1960, il arrive à Genève en 1966 avec sa mère et ses sœurs – l’année où la première pierre de la Tour RTS est posée. De leur appartement dans le quartier chic de Champel, le jeune Philippe la voit apparaître à l’horizon. «Ma carrière s’arrêtera l’année où cette tour sera vendue. La boucle sera bouclée.» Affable, jamais un mot plus haut que l’autre, l’homme parle dans la vie comme à l’écran, avec clarté, précision et une pointe d’humour.

Résidence d’artistes

Rien ne le prédestinait à devenir Monsieur Météo. De son enfance bernoise, il évoque avec tendresse «des souvenirs joyeux avec mes parents». «Après leur divorce, mon père est resté à Berne, j’ai grandi avec ma mère», une mère d’origine italienne qu’il dépeint comme une femme d’affaires qui ne s’arrêtait jamais, et un vrai pilier dans sa vie.

À Genève, Marie-Louise Jeanneret ouvre une galerie d’art dans leur duplex. «J’ai grandi avec des tableaux de Matisse, Braque, Picasso aux murs. À l’époque, ça ne valait pas la même chose, mais maintenant cela semble fou», relève celui qui, enfant, aime contempler ces œuvres en silence une fois la nuit tombée.

A table avec Warhol

L’été, la famille s’installe en Ligurie où sa mère crée un centre international d’expérimentation artistique, une résidence d’artistes où a notamment séjourné un certain… Andy Warhol. «Comme souvent les gens connus, il était quelqu’un qui se protégeait, mettait une façade. Moi, j’étais adolescent, je parlais mal anglais, je préférais faire des tours sur ma moto. À l’époque, Warhol fréquentait Paloma Picasso, elle était là aussi, c’est incroyable de penser qu’on avait tous ces gens à table.»

Après le collège Calvin, Philippe Jeanneret entame des études de droit qu’il abandonne assez vite. Sa mère développe un Alzheimer précoce, à 58 ans. Il décide alors de s’occuper d’elle, ainsi que de la galerie, vend des œuvres pour éponger les dettes qu’elle a accumulées. À côté, il pratique le volley à haut niveau, la voile et le théâtre. «J’étais démoralisé, un peu perdu», confie-t-il.

On lui a donné sa chance

Jusqu’au jour où il croise la comédienne et présentatrice Maria Mettral à laquelle il affirme «avoir toujours rêvé de présenter la météo». À l’époque, la télévision romande cherche à compléter l’équipe. Philippe Jeanneret fait un essai, qu’il qualifie lui-même de «pas brillant», le chef de l’époque – Gaston Nicole – n’est qu’à moitié convaincu, mais il lui donne sa chance.

Pour moi, il fait beau quand la prévision est juste, même s’il tombe une pluie atroce.

Avec plus de 10 000 bulletins au compteur, Philippe Jeanneret continue jour après jour à mettre du cœur à l’ouvrage, ciselant son texte écrit à partir des prévisions de MétéoSuisse jusqu’à la dernière minute pour être le plus précis avec le moins de mots possible, et sans prompteur.

Apprivoiser l’incertitude

Cette exigence, il l’a transmise à son fils, Clément, 19 ans, imposant cette règle de vie: «On a le droit de ne pas savoir, on n’a pas le droit de s’en contenter.» Car si Philippe Jeanneret ne s’est jamais lassé de son métier, c’est qu’en autodidacte et jusqu’au-boutiste, il n’a depuis 1989 pas cessé de se passionner pour la météorologie et le climat dont il observe l’évolution, effaré par les étés qui s’éternisent, le recul des glaciers et le réchauffement des villes. Érudit, il se fait pédagogue à l’antenne et sur son blog. «Cela me mettrait mal à l’aise de répéter sans comprendre.»

Perfectionniste, son principal défi reste d’apprivoiser l’incertitude. «À 24 heures, les prévisions sont justes à 80%. Cela veut dire qu’il y a 20% d’erreurs. On doit pouvoir expliquer pour donner les informations dont les gens ont besoin. Il y a parfois des enjeux cruciaux pour l’agriculture ou la restauration d’altitude. C’est un exercice d’humilité. Pour moi, il fait beau quand la prévision est juste, même s’il tombe une pluie atroce.»

Amateur de kitesurf

Aujourd’hui installé à Nernier, Philippe Jeanneret se prépare à raccrocher. Mais il ne cessera ni de scruter le ciel ni de poursuivre ses multiples passions. Amateur d’échecs, de kitesurf et de voilier télécommandé, il garde cette curiosité presque enfantine qui conduit à l’émerveillement et à l’apprentissage.

Reste une inconnue: le temps qu’il fera lors de son dernier bulletin. Devra-t-il annoncer un orage, ce phénomène qu’il affectionne tant? Comme un clin d’œil à celui qui, durant près de quatre décennies, a appris aux Romands à regarder au-delà des nuages.

Son univers

Un lieu

«Le monastère Sainte-Catherine,dans le Sinaï. Une révélation! Un endroit où l’on revient aux sources de l’humanité et du christianisme.»

Un plat

«Des filets de perches du Léman. Toujours royal.»

Un livre

«Le procès», de Kafka. Une réflexion incroyable sur la justice, l’Homme et le sentiment de culpabilité.»

Un film

«La monstrueuse parade, de Tod Browning. C’est un film américain des années 1930 qui casse les codes hollywoodiens, les monstres y sont gentils et les beaux méchants…»

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