Le Vaudois qui est à l'écoute des montagnes de feu du Costa Rica
C’est sur le volcan Irazú, à 3400 m d’altitude, que Cyril Muller parque son 4×4 estampillé «Universidad nacional de Costa Rica UNA». Le paysage est lunaire et il fait 10°C. Seul le soleil aux puissants rayons UV rappelle notre présence sous les tropiques. Le scientifique, équipé de chaussures de randonnée et d’une veste polaire, est venu pour travailler. Il installe ses appareils de mesures GPS en différents points. «Nous nous trouvons dans une zone de la planète où se rencontrent deux plaques tectoniques, Caraïbe et Cocos. Vous pouvez voir au nord toute la chaîne de volcans qui s’est formée en raison de cette jonction.»
Le Suisse est à l’aise dans l’exercice de vulgarisation scientifique. «Mon travail consiste à mesurer les mouvements de la surface de la Terre. J’étudie comment la croûte se déforme et enfle, poussée par le magma par exemple. Ces mouvements peuvent être minimes, de quelques millimètres seulement, mais ils ont leur importance pour anticiper une éruption». Des postes de volcanologue comme le sien, il n’y en a que six au Costa Rica. «Moi, je suis actif en géodésie (ndlr: science de la mensuration et de la reproduction de la surface de la Terre), mais certains collègues, spécialisés en sismologie, analysent le bruit des volcans, quand d’autres étudient la composition des gazes (géochimie) ou la formation des roches (pétrologie). Grâce à nos différentes spécialités, nous livrons la meilleure image possible de la situation des cinq volcans en activité ici.»
L’indispensable doctorat
Entre sa fascination pour la volcanologie lorsqu’il était enfant et sa titularisation comme volcanologue à 39 ans, Cyril Muller a opéré «une grande boucle». Adolescent, le Lausannois n’est pas «particulièrement brillant» à l’école et se dirige en 1999 vers une formation «plus technique qu’académique» à la Haute école d’ingénierie d’Yverdon-les-Bains (VD). Après l’obtention de son diplôme en géomatique et quelques années de travail en Suisse, il ressent, en 2008, l’envie de partir en Amérique latine, une région qui l’a toujours fascinée. «J’ai envoyé des demandes de stage dans tous les centres de la région ayant un lien avec la topographie.»
C’est finalement l’Ovsicori, l’Observatoire volcanologique et sismologique du Costa Rica sis à l’UNA, qui lui répond positivement. Il applique au monde des volcans les connaissances acquises à Yverdon-les-Bains comme géomètre. «Le travail m’a tout de suite plu et je suis tombé amoureux du pays, de ses paysages, de son climat.» Seul hic, le Vaudois n’a pas de doctorat et il est impossible pour lui d’obtenir un poste permanent sans cela. Il rentre travailler en Suisse, afin d’économiser un maximum pour financer un doctorat. C’est chose faite en 2011, lorsqu’il démarre sa thèse en géophysique à l’Université de Bristol, en Angleterre. «Mon ancien responsable de stage au Costa Rica m’a alors contacté: il partait bientôt à la retraite. Je suis revenu à l’observatoire en 2014 et ai fait du lobbying pour reprendre son poste.» Il y parvient en 2019.
Après sa nomination, le Vaudois a «la chance» de monitorer plusieurs éruptions. Il surveille celle du volcan Turrialba par exemple, dont les cendres provoquent des dégâts importants. «Ce type de pluies, plus lourdes que de la neige, peut endommager les métaux, les toits des habitations. L’agriculture à proximité est à l’arrêt, avec une partie des champs brûlés et des fermes évacuées.» Au printemps dernier, c’est le volcan Poas qui se manifeste, avec des rejets de gazes perceptibles jusqu’à San José, la capitale. «Nous sommes chargés de livrer des informations régulières à la protection civile et aux autorités. Ce sont elles ensuite qui décident s’il faut annuler des vols internationaux ou fermer le second parc national le plus visité du pays.»
Son univers
Un livre
«Deep work», de Cal Newport. Cet ouvrage m’a permis de mieux structurer ma façon de travailler et d’y trouver plus de sens.»
Un artiste
«Le groupe costaricien Los Ajenos. Il propose une musique très festive, mélangeant rock, ska et rythme latino.»
Un lieu
«Le nord du Costa Rica, pour son côté sauvage, sa nature et ses plages balayées par les vents.»
Un plat
«Une fondue ou une raclette. Pour cela, je suis resté très suisse.»
Analyse des failles
L’autre événement que Cyril Muller surveille depuis plusieurs années se trouve sous nos pieds. Nous dépassons une antenne et une cabane à l’abandon, sautons au-dessus de crevasses jusqu’à atteindre un impressionnant précipice. «En 2020, des nouvelles failles sont apparues et le terrain s’est mis à bouger toujours plus rapidement. J’avais alors prédit qu’un bloc se détacherait entre août et septembre. J’ai communiqué ces probabilités et le parc national près du volcan a été fermé.» Prédiction avérée: fin août, le terrain s’est mis à bouger de plusieurs dizaines de centimètres, jusqu’à ce que des millions de cubes de boue et de roches dévalent la pente en quelques minutes.
Le travail m’a tout de suite plu et je suis tombé amoureux du pays, de ses paysages, de son climat.
Près d’un Costaricien sur six suit sur Facebook les travaux de Cyril Muller et de ses collègues. Fiers de leur métier, ils partagent volontiers leur passion avec les médias locaux comme CRHoy ou La Nación, ou des télévisions internationales. «Je commence à être rodé, soulève le scientifique en riant. TF1 ou la Chanel 4 sont venus tourner avec nous des reportages. Ce qui a d’ailleurs fait plaisir à ma grand-mère.»
Un autre projet de vulgarisation occupe le volcanologue durant son temps libre: des vidéos très concrètes tournées en espagnol et postées sur YouTube gratuitement pour les géomètres sud-américains. «Les formations dans la région sont académiques et peu tournées vers la pratique contrairement à ce que j’ai appris en Suisse.» Envisage-t-il de rentrer au pays? «Mon épouse est costaricienne et nous avons adopté un petit garçon ici l’année dernière. Il n’est donc pas prévu que nous nous installions en Suisse.» Pas sûr que le Vaudois troque à nouveau ses montagnes de feu pour celles de neige.
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