L'artiste qui capture le vivant de son écriture sensible et de son trait brut
Il arpente la pièce, fait un pas en avant, un pas en arrière, pivote sur lui-même, puis se laisse tomber sur sa chaise. Ses mains fouillent dans les dossiers suspendus, soulèvent une pile de documents, cherchent un livre qu’il ne trouve évidemment pas.
«Ah, j’ai un de ces bordels…» fulmine le bédéiste Pierre Wazem dans le vaste atelier, installé sous les combles d’une ancienne ferme carougeoise (GE), qu’il partage avec son confrère Aloys Lolo. Il attrape une chaise, ferme un tiroir et, comme souvent, tacle son colocataire: «Ça fait trente-trois ans qu’on partage ce lieu et on ne s’entend pas, on ne s’est jamais entendu, mais maintenant c’est sûr», lâche-t-il sur un ton pince-sans-rire, mais tendre.
Une masterclass pas comme les autres
Pierre Wazem, c’est d’abord une énergie. Un esprit qui fuse à la vitesse d’un trait de stylo, des répliques mordantes qui jaillissent tel un geyser islandais. «On me compare à Benoît Poelvoorde en termes d’agitation», confie-t-il, conscient de son tempérament tumultueux, avant de s’interrompre: «Vous me rencontrez pourquoi, en fait?»
Samedi, l’artiste animera une masterclass intitulée «Redessiner nos relations au vivant» à l’Université de Lausanne dans le cadre des Écotopiales, un festival consacré aux imaginaires écologiques. Il vient également de sortir un nouveau livre: Genève, de Rousseau à nos jours, second tome consacré à l’histoire de la cité de Calvin.
L’été loin du bruit de la ville
«La nature est omniprésente dans mon travail, précise le quinquagénaire qui a grandi à la campagne avant de migrer vers la ville en fin d’adolescence «pour faire la fête». J’aime regarder le ciel et les arbres bouger, lire les signes de la nature pour savoir quel temps il fera demain.» Depuis son appartement citadin de Plainpalais, les horizons sont bouchés. Le Genevois compense ce manque de dégagement en passant les mois d’été dans son chalet en Valais, une cabane en bois dépourvue d’électricité et d’eau courante.
Là-haut, loin du bruit de la ville, il peuple ses livres de forêt denses, de sommets enneigés et de lacs placides. Aussi loin qu’il s’en souvienne, ce natif de Veyrier se voit avec un crayon à la main: «Je suis né et j’ai voulu dessiner.» Issu d’une lignée de maîtres verriers, il est le premier à rompre avec la tradition familiale. Il l’a symboliquement marqué en troquant, adulte, le «s» de son patronyme pour un «z».
Premières BD à 7 ans
L’auteur date ses premières bandes dessinées à l’âge de 7 ans. D’affreuses batailles sanglantes détaillées sur des pages et des pages qui se concluent généralement par un festin gargantuesque. Le jeune garçon prend rapidement conscience de son talent. «J’étais le seul invité à l’anniversaire des filles parce qu’elles voulaient que je remplisse leur cahier de souvenirs de dessins.»
Avec les années, l’enfant solitaire laisse place à un adolescent rebelle, pressé de grandir. La maturité artistique n’offrant pas assez d’heures de pratique à son goût, il bifurque vers les Arts décoratifs. Sur son temps libre, il travaille pour la presse et démarre ses premiers ouvrages.
Son univers
Un livre
«Novecento, d’Alessandro Baricco. C’est la nouvelle parfaite. Et mon ami François Berthet, comédien décédé, avait incarné à merveille son narrateur.»
Un bruit
«Celui de la pluie sous les toits. Ce bruit m’endort.»
Un objet
«Un stylo Pentel 05. Le stylo officiel des studios lolos qu’Aloys me vole honteusement quand il en a plus. Je sais, je les compte.»
Un plat
«Le poulet au madère du dimanche. Parce qu’il me rassure et embaume la maison.»
Saisir les idées à la volée
Ses histoires s’inspirent du quotidien. «La vie est bien plus imaginative qu’on le pense», note ce père de trois enfants qui aime croquer ses proches: les membres de sa famille, ses amis et Aloys. «Regardez, il est là, il avait encore un peu de cheveux à l’époque», pique-t-il encore en ouvrant un de ses livres. L’écriture est sensible, le trait brut et vivant.
Comment émergent les scénarios? La question l’agace, il ne se prive pas de le faire savoir. «Ça vient tout le temps, partout, c’est un muscle, répond l’auteur, du tac au tac, comme si tous les esprits étaient façonnés ainsi. Dans le tram, je vois une scène et je la décompose en six cases, c’est automatique.» Cet ancien voltigeur porte toujours un calepin sur lui. Il y esquisse des passants croisés et griffonne des bribes de conversations entendues.
Le plaisir de transmettre
Avec les années, les sujets se font plus introspectifs. Dans Mars aller-retour, l’auteur explore des thèmes tels que la dérive personnelle et la quête de sens. Comme tout artiste, des moments de creux, il en a eu. Récemment encore. «Depuis quelque temps, j’entends le bruit du moteur qui redémarre», s’exclame-t-il, confiant.
Chaque mardi, le scénariste transmet sa passion aux élèves de l’école d’illustration et de BD Ceruleum à Lausanne. «À la base, je ne voulais pas enseigner, car j’ai toujours détesté l’école et je partais du principe que le dessin ne s’enseigne pas», se souvient-il. Aujourd’hui, conquis par la magie de voir des talents éclore, il tient un tout autre discours: «À la fin de l’année, quelque chose se produit chez les élèves qui ont passé beaucoup de temps sur un projet et terminent leur cursus. Ils ont comme un déclic, ils trouvent leur style. J’adore cet instant!»
Enseigner n’empêche pas Pierre Wazem de rêver. Il souhaite un jour parcourir à cheval les vastes plaines des États-Unis à la rencontre des tribus amérindiennes. «Leur respect profond de la nature, leur recherche d’harmonie avec leur environnement et leur philosophie me passionnent depuis l’enfance.» Ce périple serait l’occasion de redessiner, à son tour, ses relations au vivant, plongé au cœur d’un paysage sauvage, avec un horizon à perte de vue.
+ D’infos «Redessiner nos relations au vivant», samedi 1er novembre dès 13h15, masterclass de 14h30 à 15h30.


 
           
                                   
                                   
                                   
                                   
                                   
                                   
                                  