Il a bâti une véritable arche de Noé tropicale dans le Jorat
Il y a beaucoup de «j’adore» dans la bouche de Pierre-Alain Leresche, alors qu’il nous guide à travers le dédale de serres et de terrariums composant sa villa de Vucherens (VD). Au gré de la visite, ces deux syllabes sont accolées aux vipères, aux cactus, aux orchidées… Comment qualifier le forestier retraité, ex-plongeur professionnel et actuel contrôleur des champignons de la Ville de Lausanne? Herpétologue? Horticulteur? Cactophile? Photographe animalier?
À défaut de résumer cette mosaïque de passions, l’adjectif «autodidacte» fera l’affaire. S’il énonce sans l’ombre d’une hésitation chaque nom latin des nombreux serpents qui peuplent son intérieur, le sexagénaire n’a rien d’un académicien: «Je suis gaucher. L’école m’a pourri la vie à essayer de m’apprendre à écrire de la main droite, sans y arriver. À cause de ça, je n’ai jamais aimé l’écriture ni les langues. J’ai toujours préféré les maths et la géographie.»
Un boa en classe
L’écolier voyage, le nez collé aux cartes de pays lointains. Les balades en famille achèvent de forger un amour immodéré pour la nature. Le jeune fan de l’émission du commandant Cousteau reçoit son premier aquarium à 6 ans; la passion pour les reptiles éclot dans la foulée.
Dès le début, en 1980, j’ai eu
des mambas et des vipères
des pyramides: j’en suis à la
troisième génération.
«Gamin, j’habitais à côté du Vivarium de Lausanne. J’y passais tous mes mercredis après-midi.» Un instituteur remarque cet intérêt: «Un jour, il m’a dit qu’on lui avait donné un boa et qu’il voulait l’amener en classe. Nous sommes allés le chercher et c’est moi qui m’en suis occupé le reste de l’année scolaire.»
Son apprentissage bouclé, nouvelle rencontre et nouveau coup de bol qui permettent à Pierre-Alain Leresche d’explorer encore plus à fond ses multiples passions. «Quand j’ai été engagé à la Ville de Lausanne, j’ai eu la chance de travailler avec un chef qui a compris que j’avais une bonne connaissance de la nature. Grâce à ça, j’ai été chargé de suivis d’amphibiens et de chauves- souris, de l’aménagement de biotopes…»
Un croco à la cave
La visite des terrariums se poursuit. Chacun est étiqueté avec le nom latin de l’espèce qu’il abrite, comme le stipule la loi sur la détention d’animaux sauvages. Les conditions sont strictes et Pierre-Alain Leresche a dû effectuer une formation de gardien d’animaux. Des têtes de mort viennent souvent compléter la signalétique. Derrière une vitre, l’habitant de Vucherens pointe un Echis carinatus ou vipère des pyramides. «Selon la légende, c’est d’une morsure de ce serpent que Cléopâtre est morte. Même un bébé peut tuer un homme adulte.»
Quand on demande pourquoi les serpents venimeux le fascinent tant, il répond simplement: «Pourquoi pas? J’ai toujours adoré les vipéridés et les crotales. Dès le début, en 1980, j’ai eu des mambas et des vipères des pyramides: j’en suis à la troisième génération.»
Arrivé à la cave, on se trouve nez à nez avec un imposant bassin. À l’intérieur, un crocodile plonge de son promontoire pour se cacher. Dans la même pièce, l’enclos des iguanes rhinocéros est en pleine transformation pour accueillir, d’ici à la fin de l’automne, Mocca et Jumbo, les deux tortues géantes qui se baladent en ce moment dans le jardin. Pierre-Alain Leresche a hérité de la femelle crocodile en 2008. «Depuis, j’essaie de la placer dans un programme de reproduction, mais ça traîne. Tous mes enclos sont aux normes, mais je sais qu’elle pourrait avoir de meilleures conditions de vie. Il n’en reste que quelques centaines dans le monde.»
Le défi de la reproduction
Si le saurien est voué à quitter son nid de Vucherens, il constitue une exception dans ce labyrinthe en forme d’arche de Noé. «Lorsque je prends un animal, c’est pour le garder et lui permettre de passer sa vie ici. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes se passionnent pour les serpents. Ils font ça à fond et, trois ans plus tard, ils liquident tout. Je trouve ça dommage.» Chaque naissance est donc une petite réussite: «Je ne vis pas de l’élevage, mais c’est un défi de réussir une reproduction. Cela montre que je leur donne de bonnes conditions de vie.»
Le même ton passionné anime notre interlocuteur lorsque l’on s’attable dans le jardin, au milieu des tillandsias et des orchidées. Des «j’adore» fusent encore. «Les orchidées développent des parfums à tomber de vanille, de chocolat…»
Périples en Amérique du Sud
Au milieu de ce décor exotique, la discussion prend le cap des voyages, alors que notre hôte se décrit pourtant comme assez pantouflard. «J’ai beaucoup fait l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. On est allé chercher des poissons dans l’Amazone, par exemple, raconte l’ancien plongeur professionnel. J’ai adoré le Mexique car il y a tout ce qui me plaît: les reptiles, les poissons, les cactus, les orchidées… J’ai eu la chance de pouvoir voyager avec un ami biologiste.»
Prendre soin d’une telle ménagerie requiert du temps. «Ma fille m’aide quand je suis absent. Mais pas pour les animaux venimeux: des amis dûment formés s’en chargent.» Malgré tout, le jeune retraité pense désormais à l’avenir. «Je commence à réduire le nombre d’animaux et je ne prends par exemple plus de venimeux. J’ai 64 ans; je suis en forme et je peux encore m’en occuper, mais pour combien de temps?» La famille n’a toutefois pas fini de grandir: deux roulouls, cousins éloignés de la caille originaires d’Asie du Sud-Est, viendront la rejoindre l’hiver prochain.
Son univers
Un film
«L’homme de Rio», il y a tout ce que j’aime dans ce film: un récit d’aventure qui se déroule dans la forêt tropicale.
Un pays
L’Indonésie. J’y ai passé trois semaines en 2019. J’ai pu faire de la plongée et visiter la réserve de Tangkoko avec un guide.
Un artiste
Phil Collins, une belle voix et un excellent batteur. J’apprécie sa musique depuis longtemps et j’y reviens régulièrement.
Un plat
Le papet vaudois. Je me réjouis que l’hiver arrive pour préparer des plats mijotés…
Envie de partager cet article ?