Chroniqueur culinaire, Édouard Amoiel avance masqué pour ne pas éclipser les chefs

Blogueur au chapeau, le Genevois Édouard Amoiel préfère rester incognito pour mieux dévoiler les personnalités de ceux qui font vivre les restaurants du pays. Une déclaration d’amour à l’art de la table et à ses artisans.
31 mars 2022 Lila Erard
Nicolas Righetti/Lundi13

Au restaurant Le Bologne, au cœur de Genève, on le connaît bien. Il y est venu l’avant-veille pour déguster cuisses de grenouille et œuf parfait à l’occasion de l’anniversaire de son épouse, complimentant sans réserve les cuisiniers et plaisantant volontiers avec les serveurs. Pourtant, d’habitude, Édouard Amoiel avance masqué. Ou plutôt chapeauté, comme en témoignent son couvre-chef et le logo du blog qui l’a fait connaître.

Une identité visuelle anonyme que ce chroniqueur culinaire et journaliste gastronomique tient à conserver. «Je souhaite rester incognito, même si je ne suis pas obligé, contrairement aux inspecteurs du Guide Michelin. Je le fais surtout dans le but de mettre en avant ceux qui travaillent dans la restauration, humbles, talentueux, mais souvent dans l’ombre. À une époque où le selfie est omniprésent, a-t-on vraiment besoin de voir ma tête?» lance-t-il gaiement, en nous invitant à nous asseoir avec lui. Au menu de ce midi: endives braisées aux noisettes et carpaccio de haddock fumé. «Généralement, je ne mange pas de la journée pour pouvoir me faire plaisir le soir. Mais faisons une exception, pour une fois que c’est moi qui suis interviewé», sourit-il, ravi de partager un repas et des confidences.

Je souhaite rester incognito, même si je ne suis pas obligé, contrairement aux inspecteurs du Guide Michelin. Je le fais surtout dans le but de mettre en avant ceux qui travaillent dans la restauration, humbles, talentueux, mais souvent dans l’ombre. À une époque où le selfie est omniprésent, a-t-on vraiment besoin de voir ma tête?

La cuisine, l’école de la vie

Le fin gourmet est né à Genève, d’un père parisien marchand de vin et d’une mère originaire de Saint-Tropez, fille de restaurateurs. Son premier souvenir culinaire: un feuilleté de langoustine savouré avec son grand-père, juste avant le service. «Ma grand-mère, elle, détestait cuisiner, mais découpait le poisson comme personne. Ils sont partis de rien et ont fait beaucoup de sacrifices. Pour eux, c’était un honneur de servir les clients.» Enfant, il rêvait d’être goûteur, «comme dans Astérix et Obélix». C’est donc sans hésiter qu’Édouard Amoiel décide d’étudier à l’École hôtelière de Lausanne, où il rencontre celle qui deviendra la mère de ses deux fils. Une période «fantastique», malgré un premier stage éprouvant chez le chef triplement étoilé Alain Ducasse, à Monaco. «C’est un milieu d’une grande violence physique et psychologique, où il faut lutter pour se faire une place. Je suis rentré garçon, j’en suis ressorti homme, raconte-t-il entre deux bouchées. Aujourd’hui, je me sens légitime de faire mon métier, car j’ai moi aussi vécu les «coups de feu» en cuisine, où il faut jongler entre stress, précision et rigueur.»

À la fin de ses études, il est recruté dans le secteur bancaire comme bon nombre de camarades diplômés, pour son endurance et sa capacité à travailler en équipe. Il y restera douze ans, avant de revenir à ses premières amours. «En 2016, j’ai lancé mon blog consacré à la gastronomie pour égayer mes journées devenues ennuyeuses. Au début, seuls mes proches le regardaient, puis d’autres gens ont commencé à me suivre. C’est une passion communicative!»

Menu avec supplément d’âme

Aujourd’hui, en plus de travailler pour des médias comme Le Temps et Bilan, Édouard Amoiel rédige une newsletter suivie par plus de 4000 gourmands, où il fait découvrir l’univers des chefs romands. «Il y a des rubriques sur leurs musiques préférées ou leurs souvenirs d’enfance. J’aime aussi mettre en avant la personnalité des serveurs, une profession de battant trop souvent négligée», estime-t-il. Sur les réseaux sociaux, le Genevois documente ses coups de cœur grâce à des photos soignées et des textes enjoués, préférant la constance et la générosité d’établissements engagés aux tables tendance du moment. Mais loin de lui l’idée d’être considéré comme critique gastronomique. «Je déteste ce terme peu constructif! Je donne juste mon avis avec bienveillance et honnêteté. C’est important dans un milieu qui subit en permanence les jugements et notations des clients sur internet, ce qui a des répercussions humaines et économiques qu’on peine à imaginer.»

Une passion héréditaire

Pendant le confinement, le journaliste n’a pas chômé, publiant des articles sur le quotidien tourmenté des cuisiniers et l’engouement pour la livraison à domicile. «Parallèlement à cette période difficile, il y a eu une revalorisation du métier grâce au succès d’émissions comme Top Chef. C’est une bonne chose», se réjouit-il en commandant les cafés.

Quand il ne dîne pas seul en terrasse pour observer le «ballet millimétré» des serveurs en griffonnant sur son bloc-notes, le quadragénaire aime recevoir et préparer légumes au four et plats mijotés. «J’adore les sauces et je suis intraitable sur la vinaigrette. En revanche, pas de pâtisserie. Suivre une recette, ça m’ennuie!» pouffe-t-il. Dans son appartement, l’amour de la cuisine est héréditaire. Sur les murs de la chambre de son cadet, des photos de chefs étoilés sont affichées. «S’il s’engage dans cette voie, je serais ravi. La table, c’est la vie. On y fait des déclarations, on s’engueule, on raconte sa journée. C’est précieux. Et paradoxalement, les restaurateurs ne savourent pas ces moments-là», philosophe-t-il tandis que le serveur dépose la quittance. «Toujours régler son addition, c’est la liberté d’expression. Je suis rémunéré pour écrire, non pas pour manger. J’ai trop de respect pour ce métier. Être chroniqueur culinaire est un privilège, je ne dois pas l’oublier.»

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