Entre pierre et bois, la nouvelle jeunesse d'un ancien presbytère
C’est une maison tout en hauteur, des murs de maçonnerie blanchis, des madriers burinés par le temps et le soleil. Le jaune des longs blocs de tuf qui encadrent les fenêtres et les grandes portes en plein cintre, des sols en pierre, une chapelle privée à la voûte de laquelle apparaissent encore des scènes du Nouveau Testament, un toit couvert de tavillons par-dessus lequel pointe le clocher de l’église toute proche, puis le regard porte jusqu’au versant opposé, sur la langue du glacier de Fiesch et la pointe acérée du Finsteraarhorn.
Dans les étroites ruelles du village haut-valaisan d’Ernen, le temps semble s’être arrêté. Ce n’est qu’une impression: le temps où ce village, au carrefour de la vallée de Conches et de celle de Binn, était un lieu de pouvoir, est bien loin. Aujourd’hui, les axes routiers drainent leurs flux de touristes vers les cols de la Furka, du Grimsel et du Saint Gothard, et Ernen est retombée dans le calme.
Tombée dans l’oubli
Reste un patrimoine architectural exceptionnel épargné par les incendies. Et une maison de vacances d’un genre nouveau. Depuis 2023, les vacanciers à la recherche de dépaysement peuvent loger le temps d’une semaine dans la Kaplanei, ancien presbytère construit en 1776 et fraîchement rénové par la fondation Vacances au cœur du patrimoine. Au fil de ses quatre étages, elle incarne une manière de faire cohabiter trésors du passé et confort moderne.
En trois siècles, la Kaplanei a eu deux visages: après avoir servi de maison d’habitation aux curés d’Ernen jusqu’en 1952, elle tombe dans l’oubli pour n’être plus utilisée que comme débarras durant un demi-siècle. En 2005, le Conseil d’État valaisan classe le bâtiment au rang de monument d’importance locale et régionale. Il faudra encore attendre treize ans avant que la paroisse ne la confie à la fondation Vacances au cœur du patrimoine pour lui redonner vie et éviter une plus profonde dégradation.
Des entreprises locales à la barre
Un concours d’architecture est organisé, et c’est le jeune bureau Zenklusen Pfeiffer, de Brig, qui remporte le mandat. La rénovation démarre sous la houlette de Diana Zenklusen en 2021 et ce sont les entreprises de la région qui se chargent des rénovations. «Pour toutes les maisons que nous rénovons, nous faisons appel à des architectes du cru, précise Claudia Thommen, l’architecte de la fondation Vacances au cœur du patrimoine. Ils connaissent mieux que nous les particularités de l’architecture locale. Sans parler des démarches administratives, qui diffèrent selon les cantons. Il en va de même pour les entreprises qui œuvrent sur le chantier: nous privilégions toujours des entreprises de la région.»
Rénover un bien historique comme le presbytère d’Ernen, c’est se lancer dans un exercice d’équilibrisme entre respect de l’aspect et des matériaux d’antan et contraintes contemporaines en termes d’efficience énergétique et de confort. C’est dans la salle de musique du rez-de-chaussée qu’ont eu lieu les plus grandes interventions. «Si une pièce de la maison a subi des modifications au fil du temps, comme c’était le cas pour cette pièce dans la Kaplanei, on profite d’y placer les incontournables éléments modernes, comme l’installation de chauffage ou la salle de bain, précise Claudia Thommen. C’est ce qu’on a fait ici: cet espace a été dédié aux sanitaires, et doté du chauffage au sol.» Raccordé au réseau de chauffage à distance de la commune, cohérence énergétique oblige.
Réapprendre à se chauffer
Cela dit, lorsque l’on passe des vacances dans la Kaplanei, ce n’est pas seulement l’architecture qui nous fait voyager dans le temps, mais aussi la manière de se chauffer: «Rez-de-chaussée excepté, la maison est chauffée uniquement avec deux poêles à bois, note l’architecte. Autant dire que si vous y séjournez à la saison froide, vous devrez apprendre à gérer la température intérieure. Indirectement, ce genre d’expérience nous pousse à voir sous un autre jour nos standards actuels en matière de confort.» Voire à faire l’impasse sur certaines pièces, à l’instar des combles: ils ont été dotés d’un lit, mais comme seul le plancher a été refait et isolé, ils ne peuvent être utilisés que lors de la belle saison.
À l’heure du triple vitrage, le choix a été fait de ne pas changer les fenêtres, mais simplement de les restaurer: «Les fenêtres d’époque utilisaient déjà un système de double vitrage, explique Claudia Thommen. La technique était très efficiente.» Au-delà de l’économie d’énergie grise réalisée à adapter plutôt que détruire pour refaire à neuf, un exemple qui résonne comme un rappel que le savoir-faire d’antan a plus que jamais droit au chapitre.
+ D’infos À l’occasion des 20 ans de la fondation Vacances au cœur du Patrimoine, Terre&Nature vous propose une série en quatre volets à la découverte de maisons emblématiques. vacancesaucoeurdupatrimoine.ch
En chiffres
1776, l’année de construction de la Kaplanei
2005, le Conseil d’Etat classe le bâtiment
2021 à 2023, la durée des travaux
989 099 francs, le coût de la rénovation
2 poêles en pierre ollaire
1 seul étage raccordé au réseau de chauffage à distance
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