À La Chaux-de-Fonds, un projet pionnier de four solaire éblouit la planète horlogère
Une scène digne d’un film de science-fiction se déroulait la semaine dernière, entre un fast-food et un concessionnaire automobile, à la Chaux-de-Fonds (NE). Sous une parabole géante composée de 450 miroirs, un homme en combinaison argentée déposait des briquettes d’aluminium dans un creuset chauffé à 1660 degrés. En seulement quatre minutes, il obtenait un liquide brillant, transformé en lingot brûlant puis plongé dans de l’eau froide, dans une effusion de bulles. Le tout devant une foule éblouie par la prouesse technique, les reflets et les flashs des photographes.
Acier, titane et cuivre
Cette démonstration inaugurait une première mondiale: la mise en marche de deux fours solaires destinés au recyclage des déchets industriels, par l’entreprise Panatere. Car si une cinquantaine de ces constructions existent dans le monde, celles-ci sont uniquement utilisées pour la recherche. Pour le directeur Raphaël Broye, qui met au point ce processus depuis huit ans avec de nombreux partenaires, dont l’EPFL, c’est un grand jour. «Je n’ai pas beaucoup dormi. Il y a eu tellement d’inscriptions qu’on a dû étaler les visites sur quatre jours au lieu de deux. Nous attendons 300 personnes, dont des clients potentiels et une cinquantaine de médias internationaux, comme le New York Times. Pour un petit patron d’une PME jurassienne, ce n’est pas rien!»
Dans un monde où les matières premières se raréfient et les prix explosent, nous devons valoriser ces trésors.
La première étape de la visite commence… dans les poubelles. Celles-ci sont remplies de copeaux d’acier, de titane et de cuivre, ainsi que de déchets métallurgiques issus des domaines médical, dentaire et microtechnique. «Notre but est d’inciter les entreprises à trier de cette manière. Chaque année, la Suisse exporte 52 000 tonnes d’acier inox au lieu de recycler ces trésors, déclare-t-il en montrant le code QR placé sur chaque benne pour la traçabilité. En récupérant 5% des déchets de la région, nous pourrions faire vivre 400 à 500 sociétés pendant cinq ans en autonomie.»
Pour aller plus loin
Notre article du 2 septembre 2024: A la Chaux-de-Fonds, des fours solaires vont recycler l’acier
Notre article du 16 mars 2021: Ils recyclent l’acier du Jura pour fabriquer des montres zéro déchet
Chauffer à 2000°C
Trônant au cœur du site, un impressionnant panneau de 140 m2 attire l’œil des passants. Composée de miroirs à forte réflectivité, semblables à ceux des satellites, cette pièce appelée héliostat suit le soleil, multipliant jusqu’à 2500 fois son intensité. À son foyer, la vitre en quartz laisse passer les rayons concentrés dans un réacteur à fusion, afin de chauffer à près de 2000°C. «C’est la journée idéale car il n’y a aucun nuage, se réjouit Florian Broye, le fils du directeur. Par contre, il y a parfois du vent, de la neige et du sable du Sahara. La structure a dû être renforcée et un prototype plus petit a été construit, notamment pour supprimer les reflets parasites qui gênaient les riverains.»
«Il a fallu apprendre à apprivoiser la nature. J’aime dire que nous sommes des industriels-agriculteurs», sourit le père, qui souligne que ce procédé divise par 165 l’empreinte climatique des métaux produits, tout en garantissant des prix concurrentiels. Autour de lui, des représentants de marques horlogères – préférant rester anonymes –, semblent intéressés. «Cela correspond à la démarche de durabilité de notre firme, qui veut réduire les transports et l’énergie utilisée dans le processus. C’est également intéressant économiquement», expose l’un d’eux.
Economie circulaire
Sur le deuxième prototype, les rayons sont concentrés en un point de seulement cinquante millimètres. Le métallurgiste Jean-François Dionne, équipé de lunettes protectrices, circule autour du foyer incandescent, où la température grimpe rapidement. N’y a-t-il pas de risque de brûlures? «A l’embouchure du creuset, oui. Un bout de bois prend feu instantanément, illustre-t-il, preuve à l’appui. Il faut rester à bonne distance.»
Actuellement, une trentaine d’entreprises de la région participent à la phase pilote et autant de tonnes d’acier inox ont été fondues depuis août. Alors que les demandes affluent, Panatere voit plus grand et planche sur la construction d’un centre de traitement composé de 200 héliostats, à La Chaux-de-Fonds ou Sierre (VS), d’ici 2028. Financé entre autres par l’Office fédéral de l’environnement, ce projet d’envergure aurait une capacité de production de mille tonnes par année, et regrouperait d’autres étapes de traitement, comme le broyage, le compactage et le tréfilage, afin de fabriquer des pièces prêtes à être usinées. «En plus de créer des emplois non délocalisables, cela sécuriserait l’approvisionnement du pays. Dans un monde où les matières premières se raréfient et les prix explosent, il faut trouver des solutions.»