Portrait
L’odyssée de Jacques Pahud, des 4000 des Alpes aux 26 kilomètres du LEB

À la suite d’une opération, puis de l’apparition d’une maladie auto-immune qui l’a définitivement éloigné des sommets, le guide de montagne vaudois s’est reconverti professionnellement. Il conduit désormais des trains.

L’odyssée de Jacques Pahud, des 4000 des Alpes aux 26 kilomètres du LEB
La ligne du LEB (Lausanne – Échallens – Bercher), il la connaît par cœur. Depuis toujours adepte des transports publics, Jacques Pahud l’a empruntée des centaines de fois pour se rapprocher des montagnes, son bureau pendant dix-neuf ans. Deux décennies au cours desquelles le Challensois a sillonné sans relâche les Alpes, participant régulièrement à des expéditions à l’étranger pour découvrir de nouveaux massifs. «Alpinisme classique, courses d’arêtes, escalade sur rocher, ski de randonnée, cascades de glace… La diversité des pratiques et la richesse des rencontres ont été un moteur tout au long de ma carrière» se plaît à dire ce solide gaillard aux yeux bleu-vert comme un lac alpin.

Tu seras bûcheron
Né au nord de Lausanne dans le quartier des Plaines-du-Loup, aujourd’hui en pleine mutation, Jacques Pahud se souvient avoir très tôt aspiré à faire un métier qui lui permettrait de passer le plus clair de son temps dehors, sans penser alors à la montagne. «Dans ma tête d’enfant, il y avait deux options: devenir jardinier ou bûcheron, une activité que mon grand-père pratiquait à côté de son emploi. C’est finalement cette seconde option que j’ai choisie.» De l’âge de 6 ans à ses premiers stages découverte, au début de l’adolescence, il garde ce cap et entame un apprentissage à la Ville de Lausanne.

Son diplôme en poche, il est engagé et forme à son tour des apprentis au sein d’une grande équipe. Avec un volume de travail annuel garanti, il a du temps pour parcourir les cimes, son autre passion. «À 25 ans, j’ai commencé une formation d’aspirant sans penser à en faire ma profession, juste pour le plaisir d’acquérir des connaissances et de me perfectionner.» Il ne se presse d’ailleurs pas, étalant les cours et les modules prévus sur cinq années au lieu de trois.
À 30 ans, au terme d’un congé sabbatique destiné à pratiquer un maximum avec des clients en tant qu’aspirant, il devient guide de montagne. La tronçonneuse est définitivement remisée, remplacée par le piolet et les crampons.

Étonnant hasard
Passionné par ce métier, arpentant les crêtes au fil des saisons, Jacques Pahud est loin d’imaginer le virage professionnel qu’il sera amené à faire. «L’idée m’a été soufflée à la suite d’une rencontre dans une cabane où j’ai croisé, tout à fait par hasard, l’un des conducteurs du LEB. Il m’avait remarqué attendant le train à mon arrêt de Grésaley, parce que j’avais toujours un gros sac et du matériel, que ce soient des skis ou une corde de grimpe. Il m’a expliqué qu’on recrutait des mécaniciens sur locomotive sur cette ligne et que cela pourrait être une option intéressante pour une reconversion.»

Quelques mois plus tard, cet échange lui revient à l’esprit alors qu’une opération programmée à l’épaule est sur le point de le tenir à l’écart des montagnes pendant une période prolongée. En 2016, il s’inscrit donc à la formation, potasse des classeurs fédéraux entiers de théorie et s’initie en pratique aux particularités de cette ligne de 26 kilomètres reliant le Gros-de-Vaud à la capitale olympique. Six mois plus tard, il est autonome et peut conduire seul les passagers. «Je pensais reprendre mon activité de guide, mais l’équilibre familial que j’ai trouvé durant le temps passé au LEB m’a convaincu de rester dans ce nouvel environnement, en gardant mes clients fidèles et mon autre job comme à-côté.»

Voir la vie autrement
C’était compter sans un nouvel événement sur le point de chambouler en profondeur son existence. Fin 2017, Jacques Pahud ressent pour la première fois les symptômes d’une maladie auto-immune que les médecins peinent d’abord à diagnostiquer. «J’avais des douleurs dans le haut du dos et des tendinites à répétition qu’on n’arrivait pas à soigner.» Début 2018, un nom est mis sur ce mal mystérieux qui l’empêche de dormir la nuit: il souffre d’une spondylarthrite ankylosante. Divers traitements sous forme d’injections lui sont administrés, marquant l’entrée dans une période faite de hauts et de bas en fonction de leur efficacité.

Les cimes s’effacent un peu plus de la vie de Jacques Pahud. «J’ai dû apprendre à vivre avec ma maladie qui conditionne passablement de choses, sur le plan professionnel bien sûr, mais encore plus dans les loisirs.» S’il peut maintenant la gérer, la fatigue physique est cependant trop grande pour lui permettre d’envisager des activités exigeantes sur des terrains escarpés. Il accepte pourtant cette situation avec philosophie. «J’ai eu de la chance d’effectuer une reconversion sans jamais m’être lassé du métier de guide. D’autant plus qu’avec le réchauffement climatique, la montagne connaît d’importants bouleversements. Beaucoup de voies classiques ne sont plus praticables et deviennent trop dangereuses pour y emmener des clients.»

Dans le poste de pilotage, les paysages vallonnés du Gros-de-Vaud ont remplacé les reliefs accidentés des Alpes. Il savoure la foule de petits spectacles offerts par la nature à qui sait l’observer: un lever de soleil, l’apparition d’un renard ou d’un blaireau, le vol suspendu d’un faucon crécerelle. Quant aux sommets, ils continuent de l’habiter, mais en pensée et sans regret. À l’avant du train, Jacques Pahud est resté le premier de cordée.

Texte(s): Alexander Zelenka
Photo(s): Sedrik Nemeth

Son univers

Un livre «Le dictateur et le hamac»

«Ce récit de Daniel Pennac se passe au Brésil, où ma femme et moi avons vécu et où notre premier fils est né.»

Un plat Des lasagnes maison

«Mon beau-père en faisait d’excellentes. À son décès, j’ai repris le flambeau.»

Un lieu Le Jura

«Un massif montagneux qui dégage à la fois de la douceur et de la rudesse.»

Un film La saga Tolkien

«La technologie permet de recréer des univers purement imaginaires, c’est fascinant.»