Reportage
Leur farine sans gluten valorise le non-calibré et les cultures oubliées

Philippe Leuba et Geneviève Robert élaborent un mélange à crêpes et pancakes à base de sarrasin, millet, pois cassés et quinoa produits sur leur domaine de Montmollin, dans le Val-de-Ruz (NE).

Leur farine sans gluten valorise le non-calibré et les cultures oubliées
Des ennuis germent parfois quelques bonnes idées, et les farines à crêpes de la Ferme la Perrière en sont un exemple. Gérée par Philippe Leuba, cette exploitation de 37 hectares située dans le Val-de-Ruz (NE) s’est spécialisée il y a plusieurs années dans la culture de céréales, de légumineuses et d’oléagineux. En dehors du blé et du colza, qui sont écoulés auprès de la coopérative Fenaco, l’agriculteur fait pousser du quinoa, de l’avoine à flocons, du sarrasin, du millet, du tournesol, du lin, des pois cassés, des pois chiches, des lentilles et de la caméline, vendus dans diverses épiceries de Suisse romande.Problème: une quantité non négligeable de ces graines ne correspondent pas aux calibres voulus par les consommateurs. «Lors de certains étés très secs, nous avons jusqu’à 30% de notre récolte de quinoa dont les grains n’excèdent pas 1,5 mm de diamètre. Le goût et la qualité sont irréprochables, mais la clientèle n’en veut pas», explique Philippe Leuba. Pour valoriser leur production, le Neuchâtelois et sa compagne Geneviève Robert ont ainsi décidé d’en faire de la farine. Mais celles de millet ou de pois cassés peinent là encore à trouver preneur.

Le couple a alors créé l’année dernière une farine à crêpes et à pancakes composée de quatre ingrédients: sarrasin, millet, pois cassés et quinoa. Le mélange, additionné d’un peu de sel et de bicarbonate alimentaire pour aider les préparations à lever, est prêt à l’emploi. «Il suffit d’ajouter un peu de lait, de crème et éventuellement un œuf, et vous obtenez la base d’un repas sain et complet, salé ou sucré, en quelques minutes», enchaîne Geneviève Robert.

Mouture à froid
Inaugurée lors de la Fête de la Terre de Cernier en 2022, leur préparation se veut également une alternative intéressante pour les personnes intolérantes au gluten. Afin de fabriquer ces farines sans risque de contamination avec le blé, ils ont investi dans un moulin Astrié. Un modèle développé par deux frères français qui roule et déroule le grain au lieu de le broyer, ce qui diminue la production de chaleur lors du frottement. «Les gens connaissent l’huile pressée à froid. Ce moulin fonctionne de la même manière et permet de conserver davantage de propriétés nutritives», complète Geneviève Robert.

Les céréales poussent à quelques mètres de leur ferme et sont cultivées dans un souci de préservation des sols (lire l’encadré). L’agriculteur a notamment fait le choix de ne plus labourer ses parcelles, privilégiant les semis directs. «La ferme est située dans une zone entre la montagne de Boudry et celle de Chaumont. Le glacier a beaucoup raboté le terrain et nous avons énormément de roches affleurantes. Cela fait vingt-cinq ans que je ne laboure plus et la terre est magnifique. Mais lorsqu’on a repris des hectares chez le voisin qui avait l’habitude de retourner ses champs, il n’y avait que du caillou. Il a fallu attendre cinq ou six ans avant que les vers de terre reprennent leur place», raconte Philippe Leuba.

De la diversité dans l’assiette
Se définissant volontiers comme un «écolo-pragmatique», peu convaincu par les labels, le Neuchâtelois assume son choix de recourir aux herbicides lorsque c’est vraiment nécessaire. «Ils sont parfois indispensables pour lutter contre certaines graminées indésirables. Mais avec notre approche, on est à 30 litres de mazout du semis à la récolte, alors que dans des systèmes où le sol est beaucoup travaillé, on atteint les 120 litres. Où est l’écologie, qu’est-ce qu’on privilégie?»

Le paysan se passe en revanche de fongicides et insecticides, grâce aux longues rotations permises par la grande diversité de ses cultures, qui limitent la plupart des maladies. Dans sa démarche, il y a surtout celle de remettre au goût du jour des plantes injustement mal-aimées. «Le millet et les pois cassés, par exemple, sont très rassasiants et étaient largement consommés jusqu’à la moitié du siècle dernier, avant de tomber dans l’oubli. Les gens réclament de la diversité dans les champs, mais il faut aussi la remettre dans les assiettes et c’est ce que nous essayons de proposer avec ce mélange à pancakes.»

+ d’infos Les mélanges à pancakes de la Ferme la Perrière sont disponibles dans plusieurs épiceries romandes. Liste complète sur www.graines-ami-luron.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Guy Perrenoud

Une agriculture de régénération

«Quand on sait que 80% de la vie se joue sous terre, on prend conscience que s’occuper de nos sols est une priorité absolue», lancent d’une seule voix Philippe Leuba et Geneviève Robert. Depuis plusieurs années, le couple apporte un soin tout particulier à ses parcelles en les nourrissant avec des oligoéléments et des algues dans le but de renforcer les plantes. «En donnant à manger au sol avec des engrais verts, du fumier et du compost, on augmente énormément le nombre d’animaux en présence et la vie en général.»

Le producteur

Philippe Leuba a repris le domaine familial en 2000. La ferme, autrefois restaurant d’alpage, avait été achetée par son arrière-grand-père en 1920. À la tête d’une entreprise de machines-outils à La Chaux-de-Fonds, celui-ci a d’abord loué l’exploitation, jusqu’à ce que les parents de Philippe Leuba décident de s’y installer dans les années 1960. «Ils ont démarré avec un cheval et deux moutons, et ont mis en place ensuite une pension pour équidés», raconte le quinquagénaire. C’est lui qui rachètera ensuite des terres et créera avec sa compagne la Sàrl Les Graines de l’Ami Luron. Il y a aussi développé la production de foin destiné aux chevaux et a ouvert un centre de tri pour ses graines et celles des collègues de la région.