Reportage
Les toits du Haras national accueillent une pouponnière à cigogneaux

Plus de 100 cigognes se sont installées au Haras national suisse, un record depuis leur arrivée en 1967. Elles se plaisent tellement à Avenches (VD) que les naissances se multiplient en ce mois de mai.

Les toits du Haras national accueillent une pouponnière à cigogneaux

Elles survolent avec grâce les paddocks, volant la vedette aux étalons du Haras national d’Avenches (VD). Depuis plus de cinquante ans, les cigognes ont trouvé refuge sur les toits des écuries de l’institution consacrée aux franches-montagnes. Que ce soit sur les cheminées, sur les faîtes ou dans les arbres alentour, leurs nids sont partout. Au centre de ces ronds de branches entremêlées, les échassiers se dressent majestueusement, surveillant depuis là leurs congénères, mais aussi l’activité des employés du haras en contrebas.

«Nous comptabilisons 53 nids, détaille Hansruedi Zurkinden, le Monsieur Cigognes du haras. Ceux qui se trouvent en hauteur, sur le manège par exemple, sont les plus prisés.» Parfois, il constate des coups de bec sonores entre ces échassiers, car les lieux deviennent au fil des ans très fréquentés: cette année, le haras a accueilli sa centième cigogne, un record depuis leur arrivée sur ce site en 1967!

Naissances en nombre
«Les cigognes sont actuellement en train de couver, constate le collaborateur technique du haras. Elles pondent en moyenne trois à cinq œufs par nid. Les parents se relaient, à tour de rôle, pour les surveiller puis nourrir leur progéniture.» Chaque jour, Hansruedi Zurkinden grimpe dans les greniers des bâtiments, jumelles ou longue-vue à la main, pour surveiller leur état de santé. Il les observe à distance pour ne pas les déranger, essayant d’apercevoir et de recenser les oisillons. L’an dernier, 80 cigogneaux y ont vu le jour. Il espère qu’ils seront aussi nombreux cette année: toutefois, la météo devra se montrer clémente pour les couvées, ni trop fraîche ni trop pluvieuse, ces deux facteurs pouvant leur être fatals.

«En juin, nous baguerons les jeunes avant qu’ils ne s’envolent vers le sud, poursuit-il. Ils ont comme une boussole dans la tête, qui leur permet de trouver leur chemin avant même que leurs parents quittent le nid.» Ces derniers les rejoindront à la fin de l’été, faisant le voyage pour la majorité jusqu’en Espagne. «Mais il arrive que des cigognes passent l’hiver en Suisse (ndlr: environ 250 couples restent ici à l’année), mais pas à Avenches, signale leur ange gardien, qui transmet toutes les informations reçues concernant ses protégées à l’association Cigogne Suisse. On assure ainsi leur suivi.»

Effet positif de l’aérodrome
Difficile aujourd’hui d’imaginer les lieux sans ces oiseaux devenus emblématiques du haras. Les cigognes attirent presque autant de visiteurs que les étalons. «Elles rythment notre vie quotidienne, commente Clara Ackermann, collaboratrice scientifique. On attend avec impatience leur venue en début d’année. Puis on les admire tous les jours par nos fenêtres avant de se préparer à leur départ à la fin de l’été.» Même les chevaux se sont habitués aux survols de ces impressionnants volatiles pouvant dépasser les 2 mètres d’envergure.

Le site du Haras national, dans la très fertile plaine de la Broye, n’a pas été choisi au hasard il y cinquante ans, quand les spécialistes ont voulu donner un nouvel envol à cette espèce menacée, qui avait alors disparu du pays (voir l’encadré). «Comme nous nous trouvons à proximité de l’aérodrome de Payerne, il n’y a pas de lignes à haute tension dans cette partie de la plaine, signale Hansruedi Zurkinden. Les cigognes, qui ont besoin de beaucoup d’espace pour prendre leur envol, sont ici à leur aise et courent ainsi moins de dangers. Au départ, elles étaient nourries sur place, ce n’est plus le cas actuellement.» Les oiseaux trouvent en effet aujourd’hui suffisamment d’insectes, de petits rongeurs, voire des amphibiens et de petits oiseaux, pour se nourrir. Ils n’hésitent pas à voler de longues distances s’il le faut pour trouver de quoi se sustenter.

Nids sous surveillance
L’automne, dès qu’ils ne seront plus occupés, les nids seront inspectés un à un. «Ces constructions sont protégées. Nous essayons de ne pas les toucher sauf si elles représentent un danger pour les employés ou les cavaliers en risquant de chuter du toit, note Hansruedi Zurkinden. En trois ans d’accumulation de branches – que l’on met à la disposition des oiseaux –, les nids peuvent en effet peser jusqu’à 300 kilos.» «L’été dernier, on a dû en déplacer quatre se trouvant sur la verrière du manège, ce qui menaçait la structure, ajoute Clara Ackermann. Les cigognes ont accepté de déménager sur un toit voisin, aux emplacements que l’on avait prévus pour elles.»

Au printemps prochain, les cigognes reviendront dans leurs quartiers d’été, pour la plus grande joie de tous. «Elles ont tendance à choisir le même nid que l’année précédente, conclut Hansruedi Zurkinden. Ce sont d’impressionnantes bâtisseuses et des voisines de travail passionnantes.»

+ D’infos www.agroscope.admin.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Haras national suisse/Céline Duruz

Migration sur de plus courtes distances

À la fin de l’été, les cigogneaux s’envolent vers le sud pour y passer l’hiver, suivis quelques semaines plus tard par leurs parents, relève Hansruedi Zurkinden. Au total, neuf signalements relatifs à la localisation de cigognes provenant du Haras national d’Avenches ont été reçus ces dernières années, dont six localisant ces échassiers à environ 20 km au sud de Madrid, dans une décharge. Les trois autres signalements provenaient de la région située entre Séville et Jerez, dans le sud-ouest de l’Espagne. Autrefois, les cigognes passaient l’hiver plutôt en Afrique du Nord ou de l’Ouest, après un long périple lors duquel 25 à 50% des jeunes mouraient. L’action de l’homme et le changement climatique auraient poussé ces migratrices à modifier leurs habitudes. Certaines ont choisi de rester en Suisse, orientale de préférence, toute l’année, y trouvant aujourd’hui de la nourriture en suffisance grâce à un climat plus clément. Conséquence: au printemps, elles s’approprient les meilleurs nids avant que leurs consœurs rentrent au bercail, souvent épuisées par un long trajet.

+ D’infos www.storch-schweiz.ch

Retour encouragé

En 1900, on comptait 140 nids de cigognes sur le Plateau suisse, puis leur nombre s’est effondré jusqu’à leur complète disparition du pays en 1950, au fur et à mesure que les conditions de vie de cet échassier se dégradaient corollairement à la substitution des prairies humides par les grandes cultures et à l’assèchement progressif des marais. En 1948, l’ornithologue Max Bloesch décide de se battre pour la survie de cette espèce sur le territoire en fondant la colonie de cigognes d’Altreu (SO) avec des cigogneaux venus d’Europe puis d’Afrique du Nord. Les oiseaux étaient maintenus dans des enclos avant d’être relâchés lorsqu’ils étaient en âge de se reproduire. Aujourd’hui, plus de 40 couples reproducteurs, soit près de 10% de la population suisse de cigognes, y vivent à l’état sauvage.

+ D’infos www.infowiti.ch