Reportage
Le nillon de noix est remis au goût du jour par des Vaudois

À Bex (VD), Pascal Walter et Mélanie Schyns récoltent des noix de particuliers vaudois pour en faire de l’huile… et du tourteau, un sous-produit riche et savoureux dont on parle peu.

Le nillon de noix est remis au goût du jour par des Vaudois
L’atelier est plongé dans la pénombre, le bruit du moulin se fait entendre tandis qu’une odeur agréable, un peu douceâtre, flotte dans l’air. Mélanie Schyns et Pascal Walter sont à pied d’œuvre. Elle malaxe, à l’aide d’un bâton, la poudre de noix contenue dans un chaudron, tout en surveillant attentivement le feu de bois. Lui récupère la bouillie encore chaude dans des toiles en nylon. Les gestes sont précis, rapides. La concentration extrême.
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C’est de la tarte
Depuis une quinzaine d’années, le Vaudois et sa compagne travaillent la noix plusieurs mois par an à l’enseigne du Petit Cageot. «La cidrerie-huilerie du Cotterd existe depuis 1693. À l’époque, tout tournait à l’eau», explique le producteur de Bex (VD), qui a succédé à son père. Considérée comme une activité familiale secondaire dans les années 1960 où les pressoirs en fonction étaient communs dans la région, l’entreprise de Pascal Walter est aujourd’hui une des seules de Suisse à presser de la noix pour en faire de l’huile et du nillon, un sous-produit pas assez valorisé selon l’artisan. Celui-ci se présente sous la forme de tourteau, une pâte qui est compressée jusqu’à former un disque de 40cm de diamètre. Réduit en poudre, il est parfois demandé afin de confectionner des pâtisseries, comme la fameuse tarte au nillon vaudoise, ou pour être utilisé en remplacement d’un pourcentage de la farine dans la panification, la majeure partie finit dans les déchets verts ou comme aliment destiné au bétail.«Avec la conscience écologique qui se répand, il y a une volonté de retour à ces produits régionaux. C’est très utile pour le développement du Chablais, il y a un côté social qui est magnifique», se réjouit Pascal Walter. Car le chemin menant de la noix au nillon est long. Et collaboratif. Même s’il possède quelques noyers, l’artisan achète l’essentiel de ses oléagineux à des particuliers qui viennent de tout le Chablais vaudois, parfois au-delà. Ces derniers récoltent le fruit à coque durant l’automne, à partir d’octobre, puis le nettoient et le sèchent jusqu’à fin décembre. Les fêtes passées, ils se réunissent dans le but de gremailler ensemble, c’est-dire casser les cerneaux et trier les morceaux à la main. De janvier à mai, Pascal Walter reçoit la marchandise et fait tourner ses machines.

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Quantités fluctuantes
Après le broyage et le concassage des noix, la poudre obtenue est chauffée au feu de bois. L’opération est très délicate et soigneusement contrôlée, car il ne faut pas excéder certaines températures, ce qui modifierait les acides gras contenus dans le fruit. «C’est comme une torréfaction, ça amplifie le goût de la noix», image Pascal Walter. Malaxée, la poudre devient une pâte que l’on tasse dans une toile en nylon, à l’intérieur d’un moule en fonte. Un passage sous 40 tonnes de pressage en extrait l’huile et laisse le tourteau. On obtient finalement 4,5 kg de nillon pour 10 kg de noix.

La quantité de matière première varie énormément. En moyenne, Pascal Walter broie 2500 kg de noix par an, mais cela peut monter jusqu’à 7000 kg les meilleures années, ou descendre jusqu’à 400 kg… comme en 2022. «Même mon grand-père de 93 ans n’avait jamais eu une récolte aussi mauvaise de toute sa carrière!» s’exclame le Bellerin, soulignant la difficulté du métier: un revenu très fluctuant, dépendant des saisons et de la météo.

Le goût de l’enfance
Très peu connu, le nillon n’occupe pas encore une place de choix dans la cuisine helvétique. Peut-être en raison de sa légère amertume contenue dans la peau des noix, ou encore la présence éventuelle de morceaux de coque, qui s’évite cependant par un broyage fin. «Certains de mes clients, souvent les plus âgés, repartent avec un peu de nillon. Ça leur rappelle des souvenirs d’époque, où enfants, ils rongeaient leur morceau sur le chemin de l’école», raconte Pascal Walter, qui commercialise ses spécialités – tourteau et huile de noix, jus et vinaigre de pomme, huile de noisette – dans des échoppes de la région.

+ d’infos www.lepetitcageot.ch

Texte(s): Camille Saladin
Photo(s): Camille Saladin

Qualités nutritionnelles à la pelle

Le nillon, considéré aujourd’hui comme un sous-produit non attractif de la production de l’huile de noix, mériterait beaucoup plus d’attention. En effet, il contient des fibres, des protéines, des oligo-éléments et des minéraux – comme le calcium, le zinc, le potassium, le fer, le cuivre et le manganèse –, ce qui en fait une mine d’or nutritive. Même après pressage, il possède encore un peu de matière grasse riche en oméga 3 (entre 6% et 20%). De plus, il regorge de polyphénols, ce qui lui conférerait des propriétés antioxydantes.

Les producteurs

Pascal Walter et Mélanie Schyns
Depuis tout petit, Pascal Walter aide son grand-père au pressoir et apprécie le partage de ce savoir-faire ancestral. Aujourd’hui, l’huilerie et la cidrerie l’occupent une partie de l’année. Mais Pascal Walter et sa compagne Mélanie Schyns cumulent les activités, puisqu’ils sont également sur les pistes cinq mois par an. Ancien compétiteur, Pascal officie comme professeur à l’École suisse de ski de Gryon, et est engagé dans presque tout ce qui a trait à l’enseignement de la discipline (notamment la formation des moniteurs). Quant à Mélanie, elle finit le brevet fédéral cette année.