Nature
Le géologue déniche de l’or dans les graviers genevois

Chaque semaine, Pierre-Alain Wülser se rend dans une gravière pour exhumer de précieuses paillettes, qu’il vend ensuite à une bijouterie lausannoise. Il est le premier Romand à avoir créé une filière d’or naturel suisse.

Le géologue déniche de l’or dans les graviers genevois

Il est 16 h 30. Pour les employés de la gravière Soreval, à Satigny (GE), la journée touche à sa fin. Alors que le site se déserte, un homme débarque, bottes en caoutchouc et sourire aux lèvres. Pour lui, le travail ne fait que commencer. Une fois par semaine depuis huit ans, Pierre-Alain Wülser fouille dans le sable lavé sur place à la recherche d’or. Une quête qu’il mène de manière professionnelle au sein de sa petite entreprise, Australp Sàrl, créée en 2011. «Au début, beaucoup de gens étaient perplexes. Mais quand j’ai expliqué mon projet, plusieurs gravières m’ont ouvert leurs portes. C’est une passion communicative», lance-t-il en saluant chaleureusement l’équipe et en installant sa brouette sous l’impressionnante installation de lavage.

Si l’orpaillage amateur en rivière connaît un certain succès en Suisse, celui en gravière est beaucoup plus confidentiel. Le Genevois s’est passionné pour cette activité il y a près de vingt ans, durant ses études en géologie, à Lausanne. «J’ai découvert que les graviers provenant de chantiers aux abords des cours d’eau, comme le Rhône ou l’Arve, étaient concentrés en or. Il s’agit surtout de paillettes de moins d’un millimètre issues de l’érosion de filons de roches formés il y a plusieurs millions d’années dans les Alpes et transportés par les glaciers.»

Extraction minutieuse

Aujourd’hui, les 1000 tonnes de matériau quotidiennement traitées par Soreval proviennent d’un site d’extraction à Bernex (GE). Méthodique, le géologue a installé deux rampes permettant de filtrer les paillettes grâce à différents tamis et grilles, afin de piéger le plus d’or possible pendant le lavage des sables. «Comme c’est un métal très dense, il est plutôt aisé de le récupérer», dit-il. Les pieds dans l’eau et le tee-shirt déjà maculé de boue, il extirpe un tapis de trente kilos imbibé d’eau, de sable et d’argile, et le dépose dans sa brouette. «C’est assez physique. En plein mois de février dans la nuit et le froid, c’est pire», s’esclaffe-t-il en effectuant des allers-retours rapides. Une fois chargé dans une bassine, il le nettoie à l’aide d’un tuyau, en écopant régulièrement le liquide trouble.

Au bout de quelques minutes, du sable de couleur noire apparaît, constellé de milliers de points dorés se reflétant dans la lumière du soleil. «Regardez, les voilà!» s’exclame-t-il gaiement sans être surpris pour autant, la découverte d’or étant devenue systématique grâce à son ingénieuse installation. «Les bonnes années, j’en trouve environ 300 grammes, ce qui correspond à plusieurs milliards de paillettes. Mais en ce moment, c’est beaucoup moins à cause du coronavirus et de la raréfaction des chantiers», regrette-t-il. La matière restante est ensuite transvasée dans un seau, puis stockée durant plusieurs semaines. «Lorsque j’en ai suffisamment, je consacre une journée entière à concentrer encore plus finement le tout, à l’aide d’une pompe électrique. Enfin, j’enlève les dernières impuretés telles que les résidus de plomb, de cuivre ou encore les filaments d’ampoule grâce à un traitement thermique spécial», raconte celui qui tient à être transparent sur ses méthodes.

Aucune technique polluante

Fort de ses trouvailles, Pierre-Alain Wülser a mis sur pied la première filière d’or de Romandie, certifiée «or naturel suisse», de provenance 100% genevoise. «Les paillettes ne sont ni transformées ni fondues. Elles sont donc bien plus facilement traçables, ce qui est rarement le cas dans ce marché mondial.» De plus, aucune technique polluante n’est utilisée dans le processus, contrairement à ce qui se pratique dans les mines de certains pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud. «Ici, l’excavation a de toute façon lieu pour produire le sable. Alors, autant récupérer les paillettes avant qu’elles ne finissent dans le béton.»

Actuellement, son client exclusif est la bijouterie des frères Jobin, à Lausanne, qui propose trois collections de pendentifs, bagues et boucles d’oreille (voir l’encadré ci-contre). «Je leur fournis aussi du cuivre en provenance du val d’Anniviers (VS), afin qu’ils puissent effectuer un alliage de métaux locaux et obtenir un or 18 carats», précise l’orpailleur. Cette activité lui permet-elle de gagner sa vie? «Seulement les bonnes années», répond-il, précisant qu’il exerce aussi divers mandats d’analyse de métaux pour des compagnies minières. En collaboration avec les Services industriels de Genève et Soreval, le quadragénaire mène également un projet de revalorisation des mâchefers – les résidus de déchets qui n’ont pas pu être brûlés dans les usines d’incinération –, qui pourrait permettre à terme de recycler de grandes quantités de cuivre, de zinc, d’aluminium, mais aussi d’or. Une filière qui n’est pas près de se tarir, donc.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi13

De luxueux bijoux 100% local

Depuis trois ans, l’atelier des frères Jobin, à Lausanne, collabore avec Pierre-Alain Wülser, qui lui fournit en exclusivité de l’or naturel suisse. «Habituellement, nous travaillons avec de l’or recyclé ou provenant de mines certifiées commerce équitable, en Amérique du Sud. Mais l’aspect local et traçable de ce métal nous a particulièrement plu», soulignent les bijoutiers-joailliers Yves et Hervé Albert Jobin. Chaque mois, ils reçoivent en moyenne 20 grammes de paillettes, vendues à un prix environ trois fois supérieur au cours actuel. Ces dernières sont fondues au four puis transformées en lingots. «Nous avons dû effectuer de nombreux essais d’alliage, notamment avec du cuivre valaisan, avant de trouver l’équilibre idéal», racontent-ils. La matière est ensuite entièrement façonnée et martelée avec très peu d’outils, afin d’obtenir un design sobre et authentique. «Nous voulions des bijoux les plus naturels possible, à l’image de l’or qui les compose. Cela rencontre un beau succès!» Plus de 150 pièces uniques – pendentifs, bagues et boucles d’oreilles –, ont déjà été créées, pour des prix variant entre 850 et 3000 francs. Dans la région bâloise, l’orpailleur Marcel Siegenthaler a également mis sur pied une filière d’or de gravière, utilisé pour la fabrication de bijoux et de médailles pour collectionneurs.