Rencontre
Un aventurier du bien-manger en quête de saveurs authentiques

Dominik Flammer est le parrain de l’édition 2018 de la Semaine du Goût. Journaliste, écrivain et historien, le Zurichois jette un œil passionnant sur la gastronomie suisse et se bat pour promouvoir les produits de niche.

Un aventurier du bien-manger en quête de saveurs authentiques

Une odeur de café et de vieux livres flotte dans le bureau. Une immense bibliothèque occupe un pan entier de mur dans la pièce tout en longueur où nous reçoit Dominik Flammer. Les titres étalés en lettres d’or sur les reliures marquées par le temps sont autant d’invitations au voyage dans l’histoire de l’alimentation. Après des chefs et des producteurs, c’est un théoricien de la gastronomie qui a été choisi pour jouer les parrains de la Semaine suisse du goût. Journaliste et historien, le Zurichois est surtout un amoureux d’une cuisine régionale dont il est l’un des tribuns les plus réputés.
Dominik Flammer a pourtant démarré sa carrière loin des fourneaux et des étals de marché: correspondant économique de l’Agence télégraphique suisse à Zurich, il prend ensuite les commandes de la rubrique économique de la Weltwoche avant de collaborer avec Bilanz ou la Neue Zürcher Zeitung. Mais la cuisine n’est pas si loin: «L’histoire de l’alimentation est étroitement liée à l’histoire économique, explique-t-il. À l’école, on parle des grandes guerres en oubliant que la seule préoccupation de nos ancêtres, c’était de savoir ce qu’ils allaient manger le lendemain.» Ton posé, voix grave et regard perçant derrière des lunettes à large monture, le journaliste s’exprime avec l’aisance de celui qui a aimé mener des interviews sur le fil du rasoir. Blanchiment, fraudes et affaires financières ont laissé place à une culture culinaire qu’il aborde avec la même curiosité.

Une plume pour les producteurs
Tout démarre après un voyage de deux mois pendant lesquels le journaliste et son épouse partent à la découverte des fromages de France. Avec une méticulosité d’encyclopédiste, il goûte la presque totalité des spécialités de l’Hexagone et écume librairies et bouquinistes pour dénicher des ouvrages de référence sur le sujet. De retour, il se met en tête de trouver un livre consacré aux fromages helvétiques. Et constate que le sujet a été boudé par les historiens. Il n’en faut pas plus pour que le Zurichois se lance dans un ambitieux travail de terrain qui donne naissance, en 2009, à un livre sobrement nommé Fromages suisses et à un choix radical. Exit le journalisme, Dominik Flammer mettra sa plume et son énergie à la disposition des producteurs, qu’ils soient paysans ou artisans.
Le monde des fourneaux n’est pas inconnu à Dominik Flammer, lui qui cherchait déjà des truffes à 15 ans dans les forêts de son Saint-Gall natal, qui avait lancé une école de cuisine destinée à favoriser l’intégration et qui garde en mémoire des milliers de souvenirs gustatifs. «Cela va du vacherin Mont-d’Or que ma mère achetait à Noël – et que mon père mangeait avec du cumin – à la pomme d’une variété ancienne, la doppelte Prinzenapfel, découverte sur une exploitation la semaine dernière.» Convaincu que l’on doit connaître nos traditions pour mieux innover, le journaliste s’enthousiasme devant les découvertes qu’il fait aux quatre coins des Alpes: «Chaque région recèle des produits originaux qu’on ne trouve nulle part ailleurs, lance-t-il. On pourrait citer le cardon épineux de Plainpalais ou la tomme fleurette de Rougemont. Aujourd’hui, ils sont devenus plus exotiques qu’un fruit venu du bout du monde.» Pour Dominik Flammer, les spécialités exclusives parce que conçues en petites quantités sont en passe de supplanter caviar, foie gras et champagne sur les grandes tables. «À l’heure où la grande majorité des Suisses partent en vacances à l’autre bout du monde et possèdent au moins une voiture, on doit redéfinir le luxe, assène-t-il. Pour moi, une «délicatesse», c’est un produit qui est rare, qui ne s’exporte pas et que je ne peux trouver qu’à un seul endroit.»

Chasse au trésor dans les Alpes
S’il est une région dont le journaliste connaît les trésors culinaires les plus confidentiels, c’est l’arc alpin, auquel il a également consacré un livre. «Les traditions alimentaires n’ont rien à voir avec les frontières nationales, tambourine celui qui se plaît à jeter un pavé dans la mare en assurant que la cuisine suisse n’existe pas. Au même titre que l’on appréhende la gastronomie des pays nordiques dans sa globalité, il est plus cohérent de considérer un espace culturel constitué par l’arc alpin.» Pour défricher ce terrain d’exploration, l’aventurier-­historien enfile ses chaussures de marche et passe des mois à arpenter les Alpes. «J’ai besoin de mes livres, mais j’en apprends beaucoup plus sur le terrain, dit-il. Quand je rencontre un paysan de 80 ans, il me raconte comment on se nourrissait dans sa famille sur plusieurs générations. On ne trouve pas ces connaissances dans un livre.» C’est pour mettre en valeur ce potentiel sous-exploité que Dominik Flammer se voue corps et âme à la création de ce qu’il a nommé «Culinarium Alpinum», un centre de compétence sur la cuisine régionale des Alpes qui verra le jour en 2020 à Stans (NW).
Le téléphone sonne pour la troisième fois. Rejetant ses cheveux gris vers l’arrière, Dominik Flammer se lève pour répondre. Entre les livres, les articles, les ateliers qu’il anime, les conseils à des chefs étoilés et la gestion de sa société Public History, il se réserve toujours du temps pour cuisiner. «J’adore ça, sourit-il derrière ses lunettes. Je cuisine tous les jours.» Parce que si l’alimentation se fait une place dans les sphères intellectuelles, elle est d’abord une histoire de papilles.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Et si j'étais...

Un livre
Le «Dictionnaire universel de cuisine» de Joseph Favre. «Ce Valaisan a été l’un des premiers journalistes culinaires. Il a publié ce livre en 1889. Il tient une place particulière dans ma bibliothèque.»

Un morceau
«I Walk the Line», de Johnny Cash. «Un type qui sait faire de la musique!»

Un plat
Un ragoût de cerf. «Avec des châtaignes séchées et fumées du val Bregaglia et des spätzli.»

Un objet
Son ordinateur portable. «Pas très émouvant, mais c’est mon outil de travail au quotidien. Toutes mes archives y sont compilées.»