Point fort
La mobilisation générale contre le frelon asiatique

Deux nids de ce redoutable insecte ont été neutralisés à Genève, alors qu’un autre a été détruit dans le Jura. Les autorités s’activent pour éliminer ce prédateur des abeilles mellifères avant qu’il ne colonise la Suisse.

La mobilisation générale contre le frelon asiatique

Sa venue n’était qu’une question de temps. Présent en France depuis 2004, le frelon asiatique s’est installé cet été à Genève et, plus surprenant, dans les Franches-Montagnes cet automne. Un nid a été trouvé vendredi dernier dans la forêt des Côtes-du-Doubs dans un frêne, à 38 mètres du sol. Le repaire des frelons a pu être détruit, non sans mal, mardi. «On savait que cet insecte s’établirait un jour en Suisse, mais qu’il choisisse le Jura nous a surpris, reconnaît Marc Kenis, collaborateur au Centre international pour l’agriculture et les sciences biologiques (CABI) à Delémont, mandaté par la Confédération pour traiter cette question. Le temps presse, car, à cette période de l’année, les reines essaiment dans le but de se reproduire au printemps prochain.»

Or ce frelon représente une grave menace pour les apiculteurs. Redoutable chasseur d’abeilles, il attend à l’entrée des ruches, en vol stationnaire, que des ouvrières arrivent à portée de ses mandibules pour les dépecer. Il se sert ensuite de leur corps comme source de protéines pour ses larves. Depuis l’annonce de sa présence dans le Jura, Marc Kenis a reçu des centaines de signalements de gens inquiets de cette présence. Mais les confusions sont nombreuses entre le frelon asiatique et son cousin européen, plus grand, plus clair et surtout moins dangereux pour les abeilles. «Nous comptons beaucoup sur les apiculteurs pour les identifier, car ils connaissent bien ces deux insectes et nous permettront d’agir rapidement», poursuit-il.

Des insectes pucés
En ville de Genève, les identifications se sont multipliées en septembre: un frelon a été vu par une passante à Plainpalais, un deuxième par un pompier au parc La Grange. Un troisième individu s’en est pris aux ruches d’un apiculteur de Chambésy (GE). Pour éviter une colonisation rapide, les spécialistes genevois ont misé sur de nouvelles technologies pour localiser les nids. Ils ont également partagé leurs connaissances et leur matériel avec leurs homologues jurassiens. Tous ont équipé des frelons – capturés vivants et préalablement endormis par congélation – avec des microémetteurs de 27mg diffusant des ondes radio. Une méthode inédite en Suisse.

Cette technique a été testée deux fois à Genève avec succès, avant de faire ses preuves dans le Jura. Elle sera aussi utilisée dans le val Blenio (TI), où un individu vient d’être signalé. Elle permet de découvrir les nids dissimulés dans un feuillage même dense en quelques heures seulement. «Le premier se trouvait dans un tilleul des Eaux-Vives en ville de Genève, à 23 mètres du sol, et le second dans un érable de Chambésy,  haut d’une dizaine de mètres, explique l’inspecteur de la faune genevois, Gottlieb Dandliker, qui a commandé en personne ces micropuces en Angleterre. Personne n’avait repéré ces nids jusque-là, même les spécialistes qui sont pourtant passés sous ces arbres.»

Pompiers à la rescousse
Une fois les nids détectés, les sapeurs-pompiers professionnels genevois ont eu pour mission de les neutraliser à la nuit tombée. «Ces dix dernières années, trente-sept de nos pompiers ont suivi une formation spécifique pour savoir comment procéder. Comme ces opérations ont lieu en hauteur et dans des combinaisons spéciales, tout le monde ne peut pas les réaliser», souligne le lieutenant Nicolas Millot. Ils sont parvenus à leurs fins, non sans mal. «Dans le premier cas, nous avons dû grimper dans un arbre pour injecter du dioxyde de soufre directement dans la sphère avec une longue seringue, raconte le sergent-chef Philippe Gries. L’effet a été immédiat.»

La seconde fois,  les pompiers ont diffusé l’insecticide dans le nid depuis la grande échelle de leur camion. «La moitié de ses occupants étaient des jeunes mâles. Ils n’avaient pas encore eu le temps de se reproduire, a constaté Gottlieb Dandliker. On a agi juste à temps.»

Apiculteurs sous pression
Le soir de l’intervention, l’inspecteur des ruchers genevois, Pascal Desjacques, était sur place, ravi de voir que le problème était pris au sérieux. «Il faut que les apiculteurs surveillent leurs ruches pour repérer les frelons le plus rapidement possible, estime-t-il. L’Office fédéral de la santé et des affaires vétérinaires doit aussi se positionner et dicter la marche à suivre aux cantons pour éviter le massacre de nos colonies.» Les attaques du frelon asiatique arrivent en effet au pire moment pour les abeilles. À l’approche de l’hiver, elles doivent prendre des forces pour résister au froid. Or les attaques incessantes des frelons les terrorisent à tel point que certaines colonies n’osent plus sortir de leur ruche pour se nourrir. Elles préfèrent se laisser mourir qu’affronter leur ennemi.

Dans le Jura, les apiculteurs restent vigilants. «On a vu les dégâts causés sur les ruchers en France voisine, où le frelon est actif depuis des années, constate leur présidente, Isabelle Chappatte. Nous sommes très inquiets. Les apiculteurs de tout le pays doivent désormais prendre part à la lutte.» Quant aux nids des premiers frelons asiatiques du pays, désormais vides, ils sont encore accrochés à la cime des arbres. Les spécialistes espèrent bientôt pouvoir les décrocher pour les exposer dans une des vitrines du Musée d’histoire naturelle de Genève.

+ D’infos Vous pouvez envoyer vos photos pour la détermination à info@apiservice.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Incendie Secours Genève/ Service de la faune GE

Adapter les ruchers

Pour limiter les attaques, des apiculteurs ont placé un grillage fin devant l’entrée de leurs ruchers, ne laissant passer que les abeilles. Certains font sortir les insectes au moyen d’une cheminée placée sur le couvercle de la ruche, déjouant ainsi les plans du frelon. «Mieux vaut ne pas installer de piège pour les frelons, met en garde Isabelle Chappatte, présidente des apiculteurs jurassiens. Ils ne sont pas assez sélectifs et risquent d’être fatals à d’autres espèces.» Des poules sont parfois mises à contribution pour gober les frelons asiatiques à proximité des ruches. En vol stationnaire, ils sont moins rapides que les abeilles.

Un statut encore indéterminé

Quels moyens investir dans la lutte contre le frelon asiatique? À la Confédération de trancher. «Tout dépendra de son classement dans la liste des espèces invasives en Suisse: deviendra-t-il un insecte à éradiquer ou non? se demande Daniel Cherix, coordinateur romand des espèces invasives. Cette décision influencera les moyens mis à disposition pour gérer son cas. Le frelon  asiatique est spécifique et ses impacts économiques et sociaux n’ont pas encore clairement déterminés.» La décision a été plus facile à prendre pour deux autres animaux: la punaise diabolique, qui cause d’importants dégâts aux cultures, et le moustique tigre, présentant un risque sanitaire potentiel pour la population. Des moyens importants ont été mis en place pour tenter de juguler leur essor.