Interview
«La loi fiscale pénalise la transmission des petits domaines»

Le conseiller national Raphaël Mahaim (Les Verts/VD) se bat pour une fiscalité agricole plus équitable. Le rejet de son initiative parlementaire demandant un différé d’imposition n’a pas entamé sa combativité.

«La loi fiscale pénalise la transmission des petits domaines»

Comment expliquer que la transmission d’un immeuble agricole par un exploitant à ses descendants, ne générant pas de liquidités, soit considérée comme une vente, plutôt qu’une donation qui autoriserait un différé d’imposition?
➤ Lorsque le Tribunal fédéral a rendu cet arrêt en 2022 dans le cadre d’un recours, il a suivi la décision du fisc vaudois. Si ce dernier avait opté pour une pratique ne pénalisant pas autant les agriculteurs, le TF aurait peut-être fait de même… D’autant que l’impôt dû lors d’une donation est bien exigible, mais sa perception est différée à un moment moins inattendu pour le contribuable, comme c’est notamment le cas lors d’une succession, où il est par exemple encaissé lors du partage entre héritiers. À l’aune de cet exemple, mon initiative parlementaire demandant de faire de même pour la transmission d’un immeuble agricole n’avait rien de farfelu.

La commission du Conseil national ne vous a cependant pas suivi. Et c’est le rejet opposé par plusieurs représentants du monde agricole qui a été décisif…
➤ La différence de système d’imposition selon les cantons a joué un grand rôle dans ce refus. Dans les cantons dits «dualistes», la vente d’un immeuble est taxée sur le gain réalisé lorsque ce bien fait partie de la fortune privée, mais comme du revenu lorsque ce bien est un outil d’acquisition du revenu – il est considéré comme de la fortune commerciale. Ce n’est pas le cas dans les cantons «monistes», où le gain sur de l’immobilier privé ou commercial est taxé au même taux. Le poids de ces derniers, en majorité les grands cantons alémaniques,
a été déterminant. Les «dualistes» sont doublement perdants, puisque leurs lois fiscales prévoient en outre plus rarement le différé d’imposition.

La situation peut-elle toujours être modifiée à l’échelon fédéral?
➤ Se contenter de dire aux cantons dualistes de changer leur système, comme l’a fait le président de la commission Markus Ritter, est irréaliste. Je continue à croire que modifier la loi fiscale fédérale pour y inclure ce différé d’imposition est la meilleure solution! Et je reste optimiste: certains agriculteurs du Conseil national ont voté non à mon initiative alors même qu’ils l’avaient signée, mais d’autres m’ont apporté un soutien inattendu. Des discussions informelles avec mes collègues me font penser que présenter un nouveau projet similaire, sous d’autres couleurs que les Verts, permettrait de contourner les éléments de politique partisane qui ont sans doute aussi pesé sur le rejet de mon initiative. Au Parlement, il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier…

Quelles autres pistes pourraient être explorées de façon à atténuer la portée de la loi fiscale actuelle?
➤ En matière d’impôts, les cantons sont tenus d’appliquer le droit fédéral, mais disposent pour cela d’une certaine marge de manœuvre. Certains cantons romands ont ainsi joué sur l’évaluation des biens immobiliers agricoles et ont pu diminuer le nombre de cas difficiles pour les agriculteurs concernés. Dans le canton de Vaud, on fonde quelques espoirs sur la sensibilité au monde paysan de la nouvelle directrice du Département de l’agriculture et des finances Valérie Dittli, qui pourrait peut-être revenir sur la grande rigidité dont l’État a jusqu’alors fait preuve.

Dans quelle mesure les instances professionnelles paysannes vous soutiennent-elles?
➤ Prométerre s’est montré très actif, notamment en s’impliquant dans le GRIEF, le Groupe de réflexion pour une imposition équitable des immeubles agricoles familiaux, et dans l’élaboration de mon initiative. Uniterre et Petits paysans Suisse sont également engagés sur ce dossier. L’Union suisse des paysans, en revanche, est restée en retrait, ce que je déplore. Les cantons monistes y ont manifestement imposé leur vision.

Quelles sont désormais les perspectives pour les agriculteurs concernés?
➤ Ceux qui avaient déjà transmis leur exploitation ont bien dû payer, quitte à s’endetter! Aux paysans qui étaient sur le point de donner leurs immeubles agricoles à des repreneurs, je ne peux que leur conseiller de consulter un fiscaliste afin d’évaluer leurs possibilités d’action. Mais pour les jeunes professionnels, dont l’immobilier représente clairement une part de leur deuxième pilier, il vaut la peine de continuer à rechercher une solution globale plus équitable. Encore une fois, le plus simple pour clarifier la loi et en atténuer la portée, selon moi, est de permettre le différé d’imposition. Et dans le contexte actuel de diminution du nombre d’exploitations et d’augmentation de leur dimension moyenne, pénaliser la transmission des petits domaines, qui sont clairement les plus impactés par cette pratique, va à rebours de ce que la Confédération devrait faire.

Texte(s): Propos recueillis par Blaise Guignard
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Bio express

Raphaël Mahaim
Né en 1983, il a été élu au Conseil national en février 2022 sous la couleur des Verts, après avoir été durant quatorze ans député au Grand Conseil vaudois. Avocat de métier,
il est titulaire d’un doctorat en droit couplé à un bachelor en sciences de l’environnement. Lorsqu’il n’est pas accaparé par les sessions parlementaires, ce père de trois enfants qui réside à Lussy (VD) pratique volontiers la photographie, l’ornithologie et divers sports tels le football, le tennis et la haute montagne.

Le fond du problème

Depuis un arrêt du Tribunal fédéral (TF) publié fin 2011, les immeubles agricoles, considérés comme des biens privés, passent désormais automatiquement dans la catégorie «fortune commerciale» dès lors que leur propriétaire les aliène (notamment en les transmettant à des repreneurs). L’intégralité de la plus-value réalisée à ce moment est grevée de l’impôt
sur le revenu ainsi que de charges sociales (AVS), pour un montant cumulé pouvant atteindre 40% de leur valeur, les dépenses d’investissement n’étant plus déductibles. Pour les paysans concernés, la facture est énorme – et équivaut à faire une croix sur le 2e pilier de leur retraite. Dès lors, en dépit de diverses initiatives politiques, la situation n’a pas évolué. Elle s’est même aggravée l’an dernier, avec un nouvel arrêt du TF assimilant une donation d’immeuble agricole à une aliénation, suivant ainsi une décision du fisc vaudois. Résultat: même si la transmission ne génère pas de cash, l’impôt est exigible immédiatement. L’initiative parlementaire déposée par le conseiller national Raphaël Mahaim pour corriger le tir a échoué en plénum.