Chronique Parlons blé
Faire carrière dans l’agriculture est-il encore rentable?

Gérer une ferme, c’est également aller au-devant de nombreux défis financiers. Cette année, Terre&Nature a décidé d’aborder une série de questions en lien avec cette thématique.

Faire carrière dans l’agriculture est-il encore rentable?

L’année 2024 a commencé par un cri d’alarme de l’Union suisse des paysans. Les revenus de la branche ont enregistré une nouvelle baisse de 4 à 10% selon les régions. Une péjoration que confirment les statistiques publiées en novembre par l’Agroscope. En 2022, le revenu agricole moyen se montait à 79’700 francs par exploitation, en Suisse. Soit une baisse de 1,3% par rapport à 2021. Les prix de vente de nombreuses denrées ont augmenté, contribuant à regonfler le chiffre d’affaires des paysans, mais ceux-ci font également face à un renchérissement plus important des coûts de production.

Les organisations de défense de la branche préfèrent se pencher sur le «revenu du travail par unité de main-d’œuvre familiale», plutôt que sur le revenu agricole. La différence? «Ce dernier sert à rémunérer le labeur ainsi que le capital investi par l’exploitant. Si l’on se limite à cet indicateur, on se dit que tout va bien dans ce secteur. Le revenu du travail correspond en revanche uniquement au salaire dégagé par l’activité agricole, ramené à une unité de travail familiale sur une base de 260jours par an (ndlr: soit 50 heures par semaine, vacances non comprises)», explique Christian Aeberhard, adjoint de direction chez Prométerre. Et là, la paie est moins alléchante: chaque paysan a gagné en moyenne 56’100francs, soit un recul de 6,3% à l’échelle nationale. L’écart est spectaculaire selon les régions: en plaine, le salaire peut monter jusqu’à près de 80’000francs alors qu’en montagne, il se situe entre 38’000 et 42’000francs.

Gommer les différences
Ces résultats témoignent des fortes disparités qui existent selon la topographie, ainsi que le type de production. «Il faut être prudent lorsqu’on examine des moyennes nationales, avertit Christian Aeberhard. Il existe forcément de grandes différences en fonction des régions, mais aussi à l’intérieur de chaque groupe: les agriculteurs restent des indépendants et chaque entreprise a sa stratégie. Et la plupart d’entre eux ne comptent pas leurs heures.»

En 2022, les éleveurs de bétail bovin ou de volaille s’en sont ainsi bien sortis grâce à une augmentation des prix à la production, alors que dans les secteurs des cultures végétales ou de l’élevage porcin, la tendance est plutôt au déclin. La structure même des fermes explique une bonne part de ces écarts. Plus petites et plus difficilement mécanisables, les exploitations de montagne s’avèrent moins rentables. «Et dans ces régions, le principal débouché est l’élevage, plus exigeant en main-d’œuvre.»

Le système des paiements directs vise à gommer une partie de ces disparités, tout comme à créer un équilibre dans le temps. Car le revenu agricole reste fortement tributaire des fluctuations du marché et des aléas de la météo. «L’évolution que l’on observe, c’est une spécialisation des exploitations, pour des questions de rentabilité. On s’est éloigné du modèle de la ferme polyvalente où l’on avait plusieurs types de cultures, des vaches, des cochons, des poules… Or cette spécialisation fragilise les exploitations, le risque face à de gros événements climatiques, aux maladies ou aux variations du marché étant accru.»

Pourtant, les paysans gagnent mieux leur vie qu’il y a dix ans. En 2012, le revenu agricole médian s’établissait à 55700 francs par exploitation. Mais le niveau de vie ne s’améliore pas forcément. Un indice patent montre que les producteurs cherchent de nouveaux apports financiers: «On constate que la part des revenus extra-agricoles est en augmentation (ndlr: +1,8%), même si elle est difficile à évaluer, car il existe des modèles très variés: certains se tournent vers l’agritourisme, pour d’autres, c’est l’épouse qui va prendre un emploi…»

Texte(s): David Genillard 
Photo(s): Illustration Marcel G.