Reportage
Traiter avec des capteurs intelligents réduit la consommation de pesticides

Basée à Yverdon-les-Bains (VD), l’entreprise Ecorobotix propose un pulvérisateur de haute précision qui permet une utilisation efficiente des produits phytosanitaires. Exemple chez un agriculteur du Gros-de-Vaud.

Traiter avec des capteurs intelligents réduit la consommation de pesticides

Sous le capot plombé par le soleil de cette fin d’été, accroché derrière le tracteur, une sorte de large caisson glisse sans bruit sur les rangées d’endives. Il ne s’agit pas d’un simple outil de travail, mais d’un pulvérisateur ultratechnologique. Un véritable petit laboratoire numérique, protégé par des bâches afin de limiter les perturbations de la lumière extérieure. Sous la machine, les flashs crépitent. Des capteurs visuels traquent les mauvaises herbes avec un grand degré de précision, avant que des buses ne giclent l’herbicide de manière ciblée sur les plantes indésirables. «C’est comme si l’on traînait un ordinateur derrière le tracteur», résume Lionel Fasel, agriculteur de 27 ans qui dirige, avec son père Christian et son frère Maxime, Fasel travaux agricoles SA.

De 200 à 20 litres par hectare
En avril dernier, cette entreprise familiale de Penthéréaz (VD) a fait l’acquisition du pulvérisateur ARA de la société Ecorobotix, basée à Yverdon-les-Bains. Lionel Fasel ne regrette pas du tout l’investissement, il se dit convaincu «à 100%». Premier constat: la quantité de liquide utilisée. La machine lui a permis de réduire drastiquement sa consommation, passant d’environ 200 à 20 litres de bouillie (mélange d’eau et de produit phytosanitaire) par hectare. Selon lui, cet arrosage ciblé préserve non seulement la santé des sols et des cultures, mais lui permet aussi de s’adapter à une réglementation toujours plus stricte sur le recours aux herbicides, insecticides et fongicides. «Deux semaines après le traitement, on voit bien que la mauvaise herbe a été marquée et qu’elle va mourir», dit-il en arpentant une bande de 2,7 hectares d’endives, l’unique parcelle de l’entreprise sur l’exploitation de Penthéréaz, tandis que 32 autres hectares, cultivés par différents producteurs, sont disséminés dans la plaine de l’Orbe et jusqu’au pied du Jura.

Apprentissage par l’image
En cette période de l’année, les feuilles d’endives ne font qu’une dizaine de centimètres de long. Les racines de ce légume apprécié en hiver seront récoltées à partir d’octobre pour la dernière phase de la production, le forçage, réalisé à l’intérieur et dans l’obscurité. «Cette année, en raison du manque d’eau, il a fallu effectuer un second semis début juillet», relève Lionel Fasel. En temps normal, il traite à l’herbicide à raison de deux ou trois passages par saison. «On le fait jusqu’à ce que les feuilles recouvrent entièrement le sol», précise-t-il. Le recours au pulvérisateur ARA est d’autant plus intéressant que l’endive est une plante particulièrement sensible à la toxicité des substances chimiques. «Nous sommes habituellement obligés de fractionner les interventions afin de parvenir aux doses nécessaires tout en épargnant la culture», indique le Vaudois.

Cette acquisition représente une forme de collaboration entre l’entreprise familiale du Gros-de-Vaud et Ecorobotix. Là où Lionel Fasel expérimente une méthode de désherbage plus efficace, la société yverdonnoise profite de données de façon à renforcer son algorithme pour le traitement des endives. «Le développement d’une nouvelle culture nécessite des dizaines de milliers d’images afin de permettre à la machine de reconnaître la plante», dit Isabelle Aeschlimann, de l’équipe marketing et communication d’Ecorobotix. «Tout cela est possible grâce à la technologie du deep learning (ndlr: «apprentissage profond» en français). Cela veut dire que le logiciel apprend par déduction: plus on lui soumet d’images, plus il déduit.»

Gain de temps contre le rumex
Selon Lionel Fasel, ce partenariat représente une belle occasion d’être impliqué dans le développement d’un produit: «C’est valorisant!» s’exclame ce féru de technologie. Cependant, il ne perd pas de vue les réalités de son entreprise. D’autant que celle-ci effectue des travaux pour d’autres paysans et qu’elle doit justifier ses tarifs.
Le jeune homme évalue le coût à l’hectare à 250 francs avec une telle machine. C’est bien plus que les 70 francs à l’hectare pour un traitement conventionnel, mais
les agriculteurs vaudois peuvent par exemple compter sur une subvention cantonale, de 100francs par hectare et jusqu’à 2000 francs par exploitation lorsqu’ils ont recours au ARA. Tout cela coûte, mais pour Lionel Fasel, ce pulvérisateur intelligent garde tout son intérêt, entre autres contre les rumex. «C’est un gain de temps. Là où le traitement à la main nous prend une journée, la machine permet de nettoyer un pré en une demi-heure, en utilisant dix fois moins de produit qu’avec la boille à dos», fait-il remarquer. L’agriculteur désigne l’écran tactile avec lequel il pilote le pulvérisateur ARA, à l’image de ces nombreux professionnels qui travaillent leurs champs par guidage GPS. «La technologie a ses avantages, mais aussi ses défauts. Quand cela tombe en panne, on peut difficilement réparer nous-mêmes», conclut Lionel Fasel.

 

Texte(s): Pierre Köstinger
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Comment ça marche?

Le pulvérisateur intelligent ARA mesure 6 mètres de large et travaille 3 à 4 hectares à l’heure, pour une économie de produits phytosanitaires allant jusqu’à 95%. Coûtant à l’achat environ 130’000 francs suivant les options, la machine peut appliquer un herbicide de manière sélective ou non (en évitant tout contact avec la culture), ou uniquement des insecticides et des fongicides. Concrètement, le pulvérisateur, une fois déplié à l’arrière du tracteur, se compose de trois parties parfaitement semblables. Chacune compte deux capteurs, évaluant la profondeur et ciblant la plante à traiter. Un total de 156 buses giclent ensuite de manière ciblée, avec une précision allant jusqu’à 4 centimètres. À l’avant du tracteur, deux cuves – l’une de 200 et l’autre de 500 litres – permettent de refaire une préparation de bouillie dans le champ. Le système s’alimente électriquement grâce à la prise de force et se contrôle par tablette sans fil.

Différents programmes

Fondée en 2011, Ecorobotix est le fruit de la rencontre de Steve Tanner, ingénieur en microtechnique, et d’Aurélien Demaurex, spécialiste en finance et gestion de projet. Après plusieurs prototypes, l’entreprise basée à Yverdon-les-Bains (VD) produit ses premières machines pilotes en 2016, testant et affinant ses algorithmes en Suisse et dans divers pays. Aujourd’hui, son pulvérisateur ARA, construit dans le Nord vaudois, dispose d’une dizaine de programmes allant du rumex à la chicorée et la salade iceberg, en passant par le colza, la betterave sucrière, le chardon, le haricot ou l’épinard. Forte de 90 collaborateurs, effectif qui a presque doublé entre 2022 et cette année, Ecorobotix développe de nouveaux programmes pour son ARA et des fonctionnalités supplémentaires.

+ d’infos www.ecorobotix.com