Reportage
Et si le retour du loup pouvait donner un nouvel élan au métier de berger?

Récemment créée, une association veut aider les professionnels de l’alpage à protéger leurs troupeaux en leur procurant du matériel. L’approche illustre le nouveau rôle que pourraient prendre ces gardiens.

Et si le retour du loup pouvait donner un nouvel élan au métier de berger?

Sur l’épaisse table de bois, un ordinateur, quelques disques durs et une poignée de cartes mémoire. «Jetez un coup d’œil aux images d’il y a trois nuits.» Sur l’écran apparaît un paysage nocturne, traversé soudain par la silhouette d’un grand canidé. La scène s’est déroulée à quelques dizaines de mètres du chalet où nous nous trouvons. Depuis dix-huit ans qu’elle passe la belle saison sur cet alpage situé sur les hauteurs de la vallée de Joux, c’est la première fois que cette bergère a la confirmation de la présence du loup.

Dans le Jura vaudois comme partout en Suisse, le retour du prédateur change la donne pour les estivants et implique une charge supplémentaire en matière de travail et de pression psychologique. Pour les aider, l’association MiddleWay leur fournit depuis cette année conseils et kits d’urgence (lire l’encadré). «Au départ, certains bergers ont décliné l’offre parce qu’ils préféraient ne pas savoir ce qui se passe la nuit sur leur alpage, se souvient Anouck Strahm, spécialiste en comportement canin et coprésidente de MiddleWay. C’est compréhensible, mais il s’avère que les pièges photographiques que nous leur proposons d’installer sont un élément plutôt rassurant, et à la longue, tout le monde s’y met.»

Un personnage clé
Ces courtes vidéos constituent un outil indispensable pour mieux connaître l’espèce. «C’est passionnant, dit la bergère. Ce qui m’a le plus surprise, c’est de voir que le loup passe souvent à quelques mètres des génisses sans que l’un ou l’autre des animaux ne modifie son attitude.» Même son de cloche chez François Duruz, gardien sur l’alpage des Begnines, à quelques kilomètres de là, et membre de l’équipe de MiddleWay: «Chaque semaine ou presque, je vois la meute défiler sur la route, parmi les bêtes.»

Si les initiatives essaiment pour fédérer professionnels de l’élevage et société civile autour de la thématique de la protection des troupeaux, l’approche de MiddleWay a la particularité de placer les bergers au centre de la réflexion. Une évidence pour François Duruz, qui exerce ce métier saisonnier depuis près de quinze ans: «Il y a la politique, et le concret. Peu importe que je sois pour ou contre la présence du loup, cette nuit mes bêtes sont dehors et je dois faire en sorte qu’elles aillent bien. Ça, c’est la réalité. Je n’ai pas besoin de mythes ni de considérations idéologiques, mais de savoir où sont les loups, comment ils se déplacent et comment ils chassent, pour veiller sur les bovins dont j’ai la charge. Dans ce contexte, le berger est un personnage clé qui doit avoir son mot à dire.»

Ces gardiens ont beau exercer l’un des plus vieux métiers du monde, leur profession évolue. Cette mutation s’est accélérée il y a une vingtaine d’années: «Le changement des bases légales pour les alpages, qui a vu augmenter les paiements directs liés à leur exploitation, s’est accompagné d’une hausse des exigences, résume Daniel Mettler, chef de groupe développement rural chez Agridea. Quand le libre pâturage était le système dominant, le travail du berger se limitait à un contrôle de la dispersion et de la santé du troupeau. Aujourd’hui, il est bien plus vaste, avec la conduite des bêtes, la pose de clôtures et des normes plus strictes en matière d’état sanitaire, auxquelles s’ajoutent désormais les mesures de protection.»

Des espoirs mesurés
Alors, plus de responsabilités signifie-t-il plus de considération? Pas vraiment. «Cette profession reste un peu en marge, analyse Daniel Mettler. Le profil des bergers a beau se rajeunir, se féminiser et se diversifier, le métier n’en est pas moins dans une zone grise: les salaires sont bas, le statut des employés précaire et les conditions rudes. Le côté saisonnier et l’absence de syndicat ou de corporation n’aident pas les travailleurs à se faire entendre.»

Dans ce contexte, certains voient dans le retour du grand canidé l’occasion de revaloriser un emploi à la fois beau et exigeant. «Il ne faudrait pas être trop optimiste, mais la problématique du loup met un coup de projecteur sur le travail du berger, admet Daniel Mettler. On pourrait observer un effet positif sur le long terme. En revanche, si la pression du prédateur devient plus forte, les alpagistes risquent l’épuisement. Le berger ne devrait pas devenir le bouc émissaire en cas de dégâts.»

Du côté des principaux intéressés, on nourrit un espoir mesuré: «Pour l’instant, je ne ressens pas vraiment de changement», estime la garde-génisses du Jura. François Duruz souhaite, lui, que l’initiative de MiddleWay mette en lumière le rôle qu’entendent jouer les bergers dans la cohabitation avec le prédateur. «Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, dit-il. Mais je veux être acteur de cette évolution, et non pas me contenter de la subir.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Des kits très demandés

Donner aux bergers les moyens d’évaluer le degré de risque qui pèse sur leur troupeau et de repousser, le cas échéant, une attaque de loup: c’est l’objectif du kit proposé par l’association MiddleWay. Soutenu par une campagne de financement participatif – qui se poursuit d’ailleurs –, il comprend trois pièges photographiques et des cartes mémoire, une puissante lampe-torche ainsi qu’un sifflet et une corne de brume destinés à effrayer un prédateur. L’association a déjà distribué une dizaine de kits complets et autant de partiels, principalement dans le Jura vaudois, tandis que les demandes affluent désormais de la part de bergers actifs dans toute la Suisse romande.

+ d’infos www.middleway.ch

Questions à...

Christine Cavalera, biologiste et fondatrice d’AgriGroupe, actif dans le conseil en matière de protection des troupeaux

Vous côtoyez les bergers au quotidien. Le retour du loup modifie-t-il leur métier en profondeur?
Il a certes un impact concret sur la conduite des troupeaux. Mais il vient s’ajouter à d’autres facteurs tels que le changement climatique, comme la sécheresse de cet été le rappelle, l’évolution de la gestion des alpages et la baisse du nombre de petites exploitations. De manière générale, il y a un besoin d’engager davantage de bergers, mais il est difficile d’en trouver et cela représente une charge financière parfois dure à supporter pour certains exploitants.

La responsabilité que suppose la garde des bêtes pourrait-elle contribuer à revaloriser la profession?
Oui, mais il y a du chemin à faire. Le métier est exposé et difficile, tout le monde n’est pas fait pour l’exercer. Afin de revaloriser ce travail, il faut commencer par écouter les principaux intéressés: ce sont des professionnels qui connaissent la réalité du terrain mieux que quiconque. Chaque alpage est différent du fait de sa topographie, du type de bétail ou du mode de gestion du troupeau, et le berger est la clé de ce système.