Décryptage
En 2023, les paysans vont faire face à plusieurs changements

L’entrée en vigueur des nouvelles ordonnances relatives aux paiements directs vient rebattre partiellement les cartes du paysage rural suisse dès le 1er janvier. Passage en revue des adaptations.

En 2023, les paysans vont faire face à plusieurs changements

Dès le début de l’année prochaine, un cadre politique remanié s’appliquera à l’agriculture suisse. Si on ne peut parler de réforme en profondeur de la politique agricole – l’examen de la PA22+ a été suspendu lors de la session parlementaire du printemps 2021, et ne reprendra pas avant le printemps prochain, pour une entrée en vigueur en 2025 –, les adaptations du contexte légal sont malgré tout conséquentes, aussi bien au niveau des paiements directs que des prestations écologiques requises (PER).

À noter en premier lieu que, si le budget d’ensemble demeure stable, la répartition des fonds diffère, avec notamment une diminution des contributions de base au profit de la partie dévolue aux régions de montagne et aux programmes facultatifs. Outre la suppression du plafond des 70‘000 francs par UMOS (unités de main-d’œuvre standard) ainsi que celle du «plafond biodiversité», c’est surtout l’introduction de mesures pour une eau potable propre et une agriculture plus durable, en réponse à l’initiative parlementaire «Réduire le risque de l’utilisation de pesticides» présentée en 2019, qui fait couler de l’encre depuis cet été et va certainement aider à bouger les lignes d’un point de vue agronomique dans les campagnes.

«Pour compenser la baisse des contributions, l’agriculteur n’a d’autre choix que de s’inscrire à des programmes, mais qui sont plus ou moins accessibles selon les systèmes de production, observe Stéphane Teuscher, directeur de Proconseil. Certaines exploitations, notamment celles situées en plaine et axées essentiellement sur la production laitière et herbagère, vont donc y perdre dans des proportions plus importantes que d’autres.»

Non-recours aux herbicides ou non-labour: il faudra choisir
Du côté de la production végétale, on assiste ainsi à un renforcement de la trajectoire prise il y a déjà plusieurs années afin d’améliorer l’empreinte environnementale du secteur agricole. «On passe d’initiatives cantonales en matière de protection des ressources naturelles à un niveau fédéral. Les mesures ne sont pas nouvelles en soi, mais se généralisent», résume Numa Courvoisier, spécialiste en grandes cultures pour Agridea. Ainsi, les programmes à choix «non-recours aux herbicides dans les grandes cultures» concernent désormais l’ensemble des terres ouvertes et s’élargissent à toutes les cultures, incitant les agriculteurs à employer les techniques de désherbage mécanique. «Ça remet en question les itinéraires agronomiques et d’équipement, et oblige les exploitants à repenser en profondeur leur stratégie», poursuit l’expert.

L’année 2023 verra également l’introduction d’un «paquet sol», comprenant deux mesures relatives à la couverture végétale et aux techniques culturales. L’objectif émis par la Confédération est clair: se servir du stockage de carbone dans les sols comme levier essentiel pour lutter contre  le changement climatique (lire également page 9). «Ces programmes représentent un enjeu financier très important afin de compenser la diminution de la contribution de base pour les exploitations de grandes cultures», indique Stéphane Teuscher, qui relève cependant la difficulté pour les agriculteurs de répondre simultanément aux différentes exigences. «Qui dit simplification du travail du sol et limitation du labour sous-entend glyphosate, glisse Numa Courvoisier. Comment dès lors souscrire aux mesures de non-recours aux herbicides? C’est un peu la quadrature du cercle pour pouvoir entrer en matière sur tous les fronts!»

Phytos: désormais, les cultures l’emportent sur les parcelles
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative parlementaire «Réduire le risque  de l’utilisation de pesticides», la Confédération propose une adaptation des contributions «extenso» et ouvre la palette des possibles au niveau des cultures, permettant de répondre à des situations agronomiques et géoclimatiques diverses et variées. «La contribution pour le non-recours aux produits phytosanitaires reprend dans ses grandes lignes les règles de l’extenso, mais comprend un changement de paradigme majeur, met en garde Stéphane Teuscher. Désormais, les mesures de diminution d’usage des phytos ne doivent plus être prises à la parcelle, mais à la culture. Avant, les paysans pouvaient s’essayer à petite échelle, tester en prenant un risque mesuré. Cette exigence du «tout ou rien» est regrettable et va certainement pousser certains exploitants à abandonner des programmes désormais trop difficiles d’accès.»

La biodiversité fait et fera encore couler de l’encre
L’obligation de consacrer 3,5% des terres arables aux surfaces de promotion de la biodiversité (SPB), qui fait partie du train d’ordonnances concernant les produits phytosanitaires et les excédents de fertilisants, questionne le monde agricole à tous ses niveaux. Repoussée à 2024 sur fond de guerre en Ukraine, cette mesure fait perdre, selon la défense professionnelle relayée par la frange conservatrice du monde politique, des surfaces productives capitales. Et risque donc de diminuer de manière conséquente le taux d’approvisionnement. «Sans compter que les efforts réalisés par certains, comme les haies par exemple, ne seront pas pris en considération, ce qui est totalement injuste», regrette Stéphane Teuscher, qui reconnaît cependant volontiers l’importance de la biodiversité fonctionnelle au sein des exploitations. «Une simple règle arithmétique ne suffit clairement pas pour améliorer la situation. Qu’on laisse l’agriculture être force de proposition!»

Bovins: viser la longévité sera quelque peu payant
Pour une fois, la production animale ne fait pas tellement l’objet de profondes modifications. «La nouvelle contribution de mise au pâturage répond à la demande sociétale pour plus de bien-être animal et permet d’encourager les systèmes de production basés sur l’herbe», salue Pascal Python, spécialiste en production animale chez Agridea, qui relève toutefois que la totalité des animaux détenus dans la ferme doit dès lors répondre aux normes minimales SRPA (sorties régulières en plein air). «Ce qui sous-entend une nécessaire adaptation des bâtiments et de l’organisation de travail, pas si évidentes que cela à mettre en œuvre!»

Enfin, pour réduire l’impact climatique du secteur et les émissions de gaz à effet de serre, la Confédération met sur pied un programme visant à allonger la durée de vie productive des vaches. «En augmentant le nombre de lactations par animal, on réduit parallèlement les besoins en remonte et on diminue donc les émissions de gaz à effet de serre», explicite Pascal Python, qui doute cependant que les incitations financières soient suffisantes pour avoir un impact réel sur le climat. «Plus que des objectifs, l’agriculture a besoin de réelles mesures d’accompagnement dans cette transition, insiste l’agronome. La recherche d’efficience dans les engrais de ferme et de parcimonie dans les engrais de synthèse dépendant des énergies fossiles est certes une bonne chose, mais l’urgence climatique appelle un mouvement politique national plus approfondi et concret.»

 

Texte(s): Claire Berbain
Photo(s): DR

Trente ans de réformes

Les modifications du cadre légal ont profondément remanié le paysage agricole depuis 1992.

1992: introduction des paiements directs.

PA 2002: abolition des garanties étatiques de prix et introduction des prestations écologiques requises.

PA 2007: suppression des quotas laitiers.

PA 2011: suppression des subventions à l’exportation et réduction du prélèvement douanier sur les céréales.

PA 14-17: orientation des paiements directs vers l’écologie et l’extensification.

2017: inscription dans la Constitution fédérale du concept de sécurité alimentaire.

2018: durabilité et compétitivité au programme de la PA22+.

2019: plan fédéral d’action phytos.