Reportage
Des rats de laboratoire vont bénéficier d’une nouvelle vie

Depuis ce printemps, les particuliers ont la possibilité d’adopter des rongeurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Cette initiative a déjà permis d’offrir un foyer à plusieurs dizaines de ces petits mammifères.

Des rats de laboratoire vont bénéficier d’une nouvelle vie

Passer d’un laboratoire d’expérimentation animale à un nouveau foyer: voilà le destin de centaines de rats qui bénéficient désormais de l’opportunité d’être adoptés par des privés. Depuis cette année, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) propose en effet – et c’est une première en Romandie – une nouvelle vie à certains de ses pensionnaires. Ce programme, baptisé «Rehoming», a été mis sur pied grâce à la collaboration de la Protection suisse des animaux (PSA). «Concernant les expériences, nous appliquons une politique interne basée sur le principe des 3R: remplacer, réduire, raffiner, souligne Rémi Carlier, chargé de communication à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. Nous souhaitons aller encore plus loin et le rehoming est une possibilité. Les scientifiques sont particulièrement enthousiastes de participer à ce projet, d’autant plus qu’ils développent très souvent un lien fort avec ce rongeur curieux.»

Si accueillir chez soi un individu initialement destiné à la recherche peut surprendre, ces petits mammifères sont pourtant particulièrement bien adaptés à devenir des animaux de compagnie. Ils ont en effet été régulièrement manipulés par des gardiens et des scientifiques dès leur plus jeune âge, facilitant leur socialisation. En outre, ils proviennent de lignées spécifiquement sélectionnées pour leur caractère calme, la souche la plus répandue étant de couleur albinos. «Ils sont généralement beaucoup plus dociles que ceux du commerce, témoigne la Bernoise Yvonne Keller, qui en a recueilli plusieurs. Malgré leur popularité croissante, les rats domestiques souffrent malheureusement encore trop souvent d’une mauvaise image. Pourtant, ils sont des compagnons merveilleux et d’une grande intelligence. Leur sensibilité me fascine.»

 

Seule une minorité concernée
Tous les spécimens utilisés par la science n’auront cependant pas cette chance, seul un tout petit nombre rentrant dans les critères autorisant une vie hors des laboratoires. «Les animaux génétiquement modifiés ne peuvent pas être légalement adoptés, afin d’éviter de disséminer ces organismes sans contrôle, explique Rémi Carlier. Idem pour ceux qui ont servi dans des expériences causant des contraintes moyennes à sévères.» Aussi les rongeurs proposés aux particuliers par l’EPFL sont-ils principalement des rates ayant mis bas ou de jeunes sevrés. Certains n’ont pas subi de tests, ou seulement certains sans contrainte, comme des études d’observation du comportement.

Cependant, la majorité des individus nés et élevés dans des zones spécialisées y finiront leur vie. La plupart des recherches sur de tels modèles sont en effet dites «terminales», c’est-à-dire qu’elles incluent l’euthanasie pour le prélèvement et l’analyse de tissus ou d’organes. «Malheureusement, seul un pourcentage minuscule de ces mammifères est replacé grâce au programme Rehoming, observe Julika Fitzi, responsable du service spécialisé Expérimentation animale de la PSA. Dans le cas de souris, beaucoup sont exclues du processus, car la majorité sont génétiquement modifiées. Pour l’instant, sur les 158 lieux de détention d’animaux d’expérimentation en Suisse, seuls deux participent à ce projet (ndlr: l’Université de Zurich et donc l’EPFL). Néanmoins, l’Université de Berne devrait rejoindre cette initiative l’année prochaine. Nous envisageons de l’étendre aux chats, poissons, amphibiens et reptiles.»

 

Une transition obligatoire
Adopter en direct un rat de l’EPFL n’est cependant pas possible. Ceux-ci sont tout d’abord transférés à une des sections de la Protection suisse des animaux qui sont spécialisées dans le placement de ce rongeur. S’il n’y a pour l’heure pas d’antennes en Romandie, le Club des amis des rats, à Buttwil (AG) et le refuge Rosel, à Brügg (BE), se chargent notamment d’accueillir les sujets en quête d’une maison. «Ceux-ci doivent obligatoirement passer par une phase d’acclimatation, indique Judith Bernegger, du Club des amis des rats. Pendant celle-ci, nous les habituons progressivement à un nouvel environnement, notamment au niveau des bruits: téléphone, aspirateur, enfants, entre autres.»

Leur organisme doit également s’adapter à un autre régime alimentaire, beaucoup plus varié que les pellets reçus en laboratoire. «Ils doivent aussi apprendre à explorer l’espace beaucoup plus grand qu’ils ont à disposition», note Judith Bernegger. En moyenne, ils trouvent un nouveau foyer dans un délai de trente jours. Quant aux futurs adoptants, ils doivent montrer patte blanche: les diverses sections vérifient que les candidats disposent de la structure et des connaissances nécessaires pour le placement et les soins à long terme des rats.

+ d’infos Toute personne qui souhaite adopter des rats et ayant la possibilité de les héberger peut s’adresser à la PSA, qui sélectionne les futures familles d’accueil. www.protection-animaux.com

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Adobe Stock/DR

Des expériences encore nombreuses

En 2021, les laboratoires helvétiques ont eu recours à plus de 570 000 animaux. Près de 70% d’entre eux ont servi pour la recherche sur les maladies humaines. Les souris sont les plus plébiscitées (64%), suivies des oiseaux, les rats représentant environ 9% du nombre de sujets. Par ailleurs, plus de 70% des rongeurs sont génétiquement modifiés et ne peuvent pas sortir d’un laboratoire. À l’EPFL, les rats – 1774 en 2021 – sont majoritairement utilisés pour des expériences de neurosciences comportementales et des tests de dispositifs orthopédiques. Fin octobre, environ 270 de ces petits mammifères étaient présents à l’animalerie, un chiffre qui fluctue selon les besoins des scientifiques. À terme, l’école polytechnique espère étendre le programme de Rehoming à d’autres espèces hébergées sur le campus, notamment les souris.

En chiffres

  • Fin 2018, lancement du projet Rehoming par l’Université de Zurich, en collaboration avec la Protection suisse des animaux.
  • 2022, ralliement de l’École polytechnique de Lausanne à ce programme.
  • 88 rats de l’EPFL proposés à l’adoption en 2022, l’objectif étant d’arriver à une centaine annuellement.
  • 399 rats, 148 souris, 3 lapins et 10 chiens adoptés depuis 2018 à l’échelle nationale.
  • 3 à 4 semaines, le temps d’adaptation hors du laboratoire avant l’adoption.
  • 2 à 3 ans, l’espérance de vie d’un rat.