Terre
Bien plus écologique, le débardage à cheval fait un timide retour en forêt

Si plusieurs acteurs forestiers sont convaincus du potentiel de cette technique traditionnelle avec un équidé, le recours à cette pratique reste pour l’heure anecdotique. Pourtant, de nouvelles opportunités semblent se profiler.

Bien plus écologique, le débardage à cheval fait un timide retour en forêt

En février, les forestiers neuchâtelois ont fait appel au cheval pour déplacer du bois abattu dans deux forêts de la commune. Une première, puisque le recours à cette technique n’avait plus été utilisé dans la région depuis des décennies. Si ce retour des équidés s’inscrit dans un souci de respect de l’environnement, la pression sociétale n’y est pas non plus étrangère. «En zone périurbaine, la population est très sensible à l’impact paysager de nos travaux, souligne l’ingénieur forestier communal Jan Boni. Nous ne pouvons plus nous permettre d’intervenir avec des machines qui laissent des traces visibles sans remise en état.» Dans le Nord vaudois, Philippe Perey, garde forestier du triage Yvonand-Yverdon, confirme cette tendance: «En périphérie des villes, nous essayons dans la mesure du possible d’engager le cheval, afin de donner une image positive de notre activité, en oubliant l’idée de rendement.»

On pourrait donc craindre que la traction animale ne soit qu’un prétexte pour redorer son blason. Pourtant, cette activité a bien d’autres atouts à faire valoir. «À mon avis, le moment est idéal pour relancer ce type de débardage, observe François Sandmeier, directeur du Centre de formation professionnelle du Mont-sur-Lausanne (VD). Nous devons mener une réflexion sur les critères qui doivent prévaloir en économie forestière. Certes, le rendement reste primordial, mais la question de la protection des sols et de la durabilité est également à prendre en compte.»

 

Un savoir-faire en péril

À Neuchâtel, les conclusions du chantier sont encourageantes. «Ce moyen de sortir du bois est étonnamment efficace et guère plus onéreux que les machines, dans des conditions difficiles d’accès, note Jan Boni. Dans ce cas précis, nous avons estimé le coût à 40 francs le mètre cube, contre 80 à 120 par hélicoptère.» Bien que l’équidé ne puisse généralement concurrencer les engins en matière de rapidité et de coût, il tire néanmoins son épingle du jeu dans des situations bien particulières: les forêts périurbaines, comme à Neuchâtel, mais aussi les zones de captage des eaux, où tout risque de pollution doit être évité, ainsi que les réserves naturelles. «Comme les véhicules forestiers sont de plus en plus larges, nous avons parfois des problèmes d’accessibilité à proximité des agglomérations, observe Jan Boni. Le cheval est alors une alternative valable, pour autant que les morceaux d’arbres n’excèdent pas 25 à 30 centimètres de diamètre, coupés en portion de cinq mètres.»

La forte demande en bois indigène, avec des prix qui ont augmenté de 30% ces trois derniers mois (du jamais-vu), pourrait également relancer la pratique. Cependant, cet engouement fait face à un écueil: trouver des prestataires avec les compétences et la disponibilité nécessaires. Ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont disparu du marché, par manque d’activité. «Il est difficile de coordonner l’offre et la demande, concède François Sandmeier. Le manque d’acteurs dans la filière est certainement un frein au développement du débardage, alors même que la rareté du travail rend difficile la formation de nouveaux intervenants.»

 

Créer de nouveaux débouchés

Les exigences actuelles, en matière de sécurité notamment, ne facilitent pas les vocations. En effet, dès cette année, la loi forestière fédérale exige un apprentissage spécifique – qui n’a rien à voir avec le cheval – pour œuvrer dans les forêts d’un tiers contre rémunération. Car sortir des troncs abattus en ayant un rendement suffisant, tout en évitant les accidents, est un métier. Freddy Golay, des Charbonnières (VD), est l’un des rares débardeurs en activité à avoir une formation forestière: «L’engagement de mes chevaux reste marginal, avec seulement une dizaine de jours par année. On fait notamment appel à moi dans des projets didactiques, car l’équidé est un outil de communication sans égal pour expliquer au grand public la gestion des forêts.»

Ce marché de niche est donc, pour l’heure, destiné exclusivement à des passionnés, qui veulent faire perdurer ce savoir-faire. «J’aime tellement cette activité, notamment la complicité avec l’animal, que j’achète du bois sur pied pour pouvoir la pratiquer, s’enthousiasme Marc Rebeaud, d’Yvonand (VD). On nous voit à tort comme des adeptes d’un folklore dépassé, alors qu’on s’est adaptés aux contraintes modernes, en intervenant notamment en complément des machines.»

Pour que le cheval retrouve une place plus durable en milieu sylvestre, les forestiers devront impérativement y faire davantage appel à l’avenir. «Désormais, nous souhaitons systématiquement nous poser la question lors du martelage des arbres, souligne Jan Boni. J’espère que cette expérience incitera d’autres collègues à se décider, afin d’augmenter le volume de travail et donner ainsi la possibilité à un entrepreneur de se lancer.»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Bernard Python

Des concours pour gagner en visibilité

La Fédération suisse du franches-montagnes a mis sur pied, en 1997 déjà, des épreuves de débardage destinées à la race nationale. L’objectif était de maintenir un certain savoir-faire, tout en démontrant la polyvalence de cet équidé. Lors de ces compétitions, les participants doivent tirer un tronc d’arbre d’une longueur de cinq mètres et d’un diamètre d’environ 30 centimètres sur un parcours d’une dizaine d’obstacles. L’adresse de la paire y est jugée. Si ces concours permettent de donner une certaine visibilité à la discipline, elles se pratiquent dans des conditions relativement éloignées de celles rencontrées sur le terrain. Rares sont d’ailleurs les participants à débarder en forêt.

Pour encourager cette pratique

Le peu de visibilité des débardeurs à cheval, ainsi que parfois leur manque de disponibilité, peut être un frein au développement de leur activité. Pour y remédier, l’association Forstpferde Schweiz a vu le jour outre-Sarine en 2020. Composée d’une dizaine de personnes qui pratiquaient le débardage à titre de hobby, elle permet une professionnalisation en devenant une interlocutrice privilégiée des forestiers. Son objectif est également d’encourager cette pratique par la mise en commun des compétences, en transmettant ce savoir-faire spécifique.