Le business des croquettes maison est plus qu’un marché de niche

La nourriture industrielle pour chiens et chats est de plus en plus décriée: une aubaine pour la production artisanale d’aliments secs, qui vante des recettes élaborées avec des produits locaux.
8 octobre 2020 Céline Duruz
François Wavre/Lundi13

Du glyphosate et une bonne dose d’acrylamide: les chiens et les chats ont parfois de drôles d’ingrédients sous la dent, au grand dam de leurs propriétaires. De plus en plus soucieux du bien-être de leur animal, ces derniers sont nombreux à vouloir changer le contenu des gamelles, prenant soin d’éviter des produits industriels potentiellement cancérigènes (voir l’encadré). Mais trouver des aliments secs à la hauteur de ses espérances n’est pas une mince affaire.

Mélissa Jeanmonod s’en est rendu compte il y a deux ans, lorsqu’elle a testé plusieurs régimes pour son pinscher nain. «Les seules croquettes qui semblaient convenir à ma chienne, intolérante au gluten, provenaient de Nouvelle-Zélande. Je trouvais absurde qu’elles fassent le tour de la Terre avant qu’elle les mange!» Forte de ce constat, elle se lance alors, avec son amie Aïcha Es-Sami, dans la recherche d’aliments suisses, riches en protéines et exempts de céréales. En vain. Les deux femmes décident donc de fabriquer des croquettes semi-humides pour chiens. Baptisées Joy’s Food, elles sont composées de viandes suisses. «On a élaboré la recette avec l’aide d’un vétérinaire, explique Mélissa Jeanmonod. Mais on a mis deux ans pour trouver au Val-de-Travers (NE) une entreprise pouvant les fabriquer.» Depuis 2018, les deux amies ont écoulé dix tonnes d’aliments, bien plus qu’elles ne l’espéraient. Elles s’apprêtent aujourd’hui à inaugurer de nouveaux locaux, plus grands, et à développer une gamme pour les chats.

Service personnalisé

À Lausanne, l’entreprise Crokeo propose aussi une gamme locale livrée dans des bocaux en verre, contenant suffisamment de croquettes pour un mois. Elle a déjà séduit 500 clients, a multiplié ses livraisons à domicile lors de la pandémie et dope ses ventes en suivant la tendance du zéro déchet. Trois vétérinaires ont collaboré à la création des recettes. La transformation a été confiée à l’entreprise suisse Granovit, le plus grand fabricant suisse du secteur. «Il faut des fours spéciaux pour parvenir à cuire ces aliments sans abîmer leurs nutriments, c’est extrêmement difficile à les fabriquer soi-même, détaille l’un des fondateurs de la marque, Raphaël Garcia. On est trop petits pour être complètement indépendants. Si on voulait créer notre propre chaîne de production, il faudrait que l’on ait cinq fois plus de clients.»

Conscient que la croquette idéale n’existe pas – les besoins étant spécifiques à chaque race, à l’âge de l’animal et à son activité physique –, Crokeo adapte régulièrement ses recettes. «Concevoir un aliment sec de qualité prend plusieurs années, note Raphaël Garcia. Les propriétaires ont besoin d’être rassurés, de savoir ce qu’ils donnent à manger à leur animal. Or dans ce domaine, il y a beaucoup de marketing et parfois de fausses croyances: il n’est donc pas toujours facile de s’y retrouver.»

Des substances nocives au menu

Voulant connaître la composition des croquettes industrielles, le magazine Bon à Savoir a testé quinze marques. Il a découvert qu’en plus de la viande et des céréales, nos compagnons à quatre pattes ingèrent parfois des herbicides, des insecticides et plusieurs agents conservateurs. Les chats ne sont pas mieux lotis: la Fédération romande des consommateurs a décelé des taux extrêmement élevés d’acrylamide, une substance cancérogène, dans les échantillons des marques premier prix mais aussi haut de gamme qu’elle a analysées en 2018.

Un marché faramineux

Les propriétaires ont en effet l’embarras du choix. Chaque mois, de nouveaux produits arrivent dans les rayons des commerces. L’entreprise Granovit reçoit à elle seule plusieurs demandes pour la fabrication de recettes. «Le marché des aliments haut de gamme est en plein essor, confirme le vétérinaire Stephan Leoni, directeur de cette filière chez Granovit. Et la manière de les vendre aussi: avec internet et l’intelligence artificielle, il est possible de proposer un produit particulier au propriétaire d’un animal en fonction des recherches qu’il a effectuées sur internet par exemple.»

Pour obtenir une part de ce juteux marché –  qui a avoisiné les 4,3 milliards d’euros en France l’an dernier –, les marques rivalisent d’imagination, jusqu’à miser sur les mêmes tendances que pour l’alimentation humaine, à savoir une nourriture locale, végane et sans gluten. Mais appliquer ces régimes aux animaux n’est pas sans risque, leurs effets n’ayant pas été scientifiquement étudiés. «La qualité nutritionnelle des aliments industriels varie grandement, tout comme la transparence sur les ingrédients utilisés, met en garde la vétérinaire vaudoise Chantal Brunner, spécialisée dans la nutrition animale. Tout n’est pas blanc ou noir, mais ces aliments doivent être conformes aux directives de l’organisme représentant l’industrie européenne dans ce domaine, la FEDIAF.»

Les croquettes artisanales doivent également répondre à ces exigences. Bien que parfois moins bien contrôlées et d’un prix jusqu’à six fois supérieur à un produit industriel d’entrée de gamme, elles n’en restent pas moins de plus en plus prisées. «Ce secteur va clairement prendre de l’importance à l’avenir, en particulier grâce à l’exportation, présage Stephan Leoni. Le Swiss Made est très apprécié à l’étranger aussi.»

Questions à...

Andreas Rogger, directeur de la Société cynologique suisse (SCS)

Que pense la SCS de l’intérêt actuel pour l’alimentation animale?
Ce n’est pas nouveau pour nous puisque nous nous en préoccupons depuis la création de notre société en 1883, proposant même des cours sur ce sujet. On ne nourrit pas un chien de traîneau en appliquant le même régime qu’à un chihuahua! Le propriétaire doit se demander quels sont les besoins de son animal. Parfois, l’alimentation des chiens de concours ou de police est presque aussi stricte que celle des cyclistes de haut niveau!

Le choix des aliments est de plus en plus vaste. Comment s’y retrouver?
La nutrition des chiens est devenue une religion. Le changement sociétal qui a eu lieu dans nos assiettes se répercute dans la gamelle de nos animaux. Ils font partie de la famille; leurs maîtres sont prêts à investir dans une nourriture de qualité s’ils estiment que cette dernière sera bénéfique à leur animal. Une alimentation adaptée peut avoir des effets remarquables, mais il faut être aussi attentif aux conséquences que peut avoir un régime inadapté que l’on imposerait à son chien. Ce dernier ne peut pas s’exprimer, il faut l’observer et, en cas de troubles, notamment gastriques, changer son menu.

+ D’infos
www.skg.ch

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