Les agriculteurs peuvent recycler leurs plastiques

Un système de collecte des films et filets pour balles rondes a vu le jour grâce à l’association ERDE. En Suisse, 6000 tonnes de ces matières circulent chaque année, laissant des résidus durables dans les sols.
5 octobre 2023 Lila Erard
© Mathieu Rod

Ce matin, Olivier Hodel se rend à la Landi d’Echallens (VD) pour acheter des semences et des engrais. Mais pas seulement. Depuis le mois de juin, cet agriculteur de Chapelle-sur-Moudon (VD) profite de ces courses mensuelles pour déposer plusieurs centaines de kilos de films d’enrubannage usagés dans une benne installée sur le parking.

Acheté quelques mois plus tôt dans la même enseigne, ce matériau lui avait servi à emballer son herbe préfanée et pressée, afin de conserver son fourrage par fermentation. «Chaque année, je fais environ 400 balles rondes qui ont chacune entre six et huit couches de plastique, dit-il. Je peux difficilement m’en passer, car cela me permet de produire de l’ensilage pour nourrir mes cinquante vaches laitières.»

25% des déchets récupérés

Si le Vaudois a longtemps fait incinérer ce déchet, il est désormais l’un des rares Romands à le recycler, grâce à l’association ERDE. Celle-ci a été créée en 2021 par plusieurs acteurs de cette industrie en Suisse et en Europe – dont des distributeurs et des fabricants –, en se basant sur le modèle allemand, où cette filière existe depuis dix ans. En Suisse, une centaine de points de collecte ont été mis en place, dont quatre en Romandie, afin de revaloriser les films et les filets employés pour emballer le foin.

«Nous avons remis en service une partie du réseau auparavant utilisé par une entreprise thurgovienne. Grâce à cela, 1800 tonnes de ces déchets ont été récupérées en 2022, soit environ 25% de ce qui a été mis sur le marché. Nous sommes très satisfaits!» se félicite Carina Nijsen, la directrice adjointe. Le matériau est ensuite broyé, lavé et fondu afin de produire des granulés qui serviront à fabriquer de nouveaux plastiques agricoles, mais aussi des sacs poubelle et d’autres produits.

À Echallens, une dizaine de paysans a participé au projet depuis cet été. Reynald Saugy, responsable du secteur agricole de la Landi, voit cette période comme une phase de test. «Pour l’instant, nous ne faisons rien payer aux clients et nous avons investi à perte avec un partenaire agriculteur pour installer la benne et assurer le transport jusqu’à une déchetterie. Nous espérons qu’un marché se développera afin de couvrir ces frais.» L’éleveur Olivier Hodel, lui, est conquis. «Il est très important pour moi de savoir que mes déchets sont revalorisés. Ce tri me paraît sensé. De plus, cela me rajoute peu de travail. Je dois juste stocker les films au sec et les secouer avant de les rendre.»

Et les films biodégradables?

Si les films d’ensilage en polyéthylène peuvent être recyclés, ce n’est pas le cas des films de paillage, plus fins, qui se cassent sous l’effet des intempéries. Pour pallier ce problème, des matières biodégradables ont été mises sur le marché, comme le polybutylène adipate téréphtalate (PBAT). «Ce matériau est apprécié de certains microbes qui l’utilisent comme source de nourriture et d’énergie, à tel point qu’il ne reste aucune particule de microplastique une fois le processus terminé», expose Michael Sander, professeur à l’ETHZ, qui mène une étude sur le sujet. Ses résultats seront publiés l’an prochain.

Une taxe d’un franc

Recycler les plastiques n’est pas gratuit: pour financer le système de collecte, le prix des rouleaux a augmenté d’un franc. De plus, à l’exception de la Landi d’Echallens, la quasi-totalité des points de collecte fait payer le dépôt. «Le prix de la remise reste toutefois inférieur d’environ 30% à celui de l’incinération, qui varie de 150 à 190 francs la tonne, assure Carina Nijsen. Participer à la revalorisation est avantageux financièrement pour les paysans.»

Pour Lukas Aebi, responsable des ventes romandes à la Fenaco, qui figure parmi les principaux importateurs, la création de cette filière est indispensable. «L’Union européenne devrait bientôt obliger les usines à intégrer une part de plastique recyclé dans leurs produits. Comme il n’y a pas de fabricant de films agricoles sur le territoire, nous sommes dépendants de l’étranger. Il faut prendre les devants.»

Plusieurs freins existent toutefois, dont la taxe d’un franc qui n’est «pas suffisante pour couvrir les frais de la collecte», estime-t-il. Selon lui, cette initiative doit s’accompagner d’un effort pour réduire ce déchet. «Il serait par exemple préférable d’acheter des films plus fins, qui existent déjà sur le marché. Par ailleurs, les silos-fosses et les silos-tours sont plus économiques que les balles rondes pour faire de l’ensilage et nécessitent moins de plastique. Avec l’agrandissement des exploitations, ces moyens de conservation pourraient faire leur grand retour.»

Loi suisse en travail

Parallèlement, la Confédération se penche depuis plus de dix ans sur le sujet,  à la suite de plusieurs postulats ainsi que de la publication de rapports sur les quantités de polyéthylène présents dans les sols (lire l’encadré ci-contre). Prochaine échéance: une révision de la loi sur la protection de l’environnement portant sur l’économie circulaire, actuellement en discussion au Conseil national et qui devrait aboutir d’ici l’été 2024. À cette occasion, de nouvelles mesures sur le recyclage des plastiques agricoles pourraient voir le jour.

En attendant, ERDE espère augmenter les quantités récoltées. Elle peut compter sur le soutien de l’Union suisse des paysans, récemment devenue membre de l’association. «Nous souhaitons motiver les agriculteurs et contribuer à augmenter le nombre de points de collecte, et ce dans toutes les régions, déclare Michel Darbellay, responsable du département Production, marché et écologie. Notre secteur ne pourra jamais fonctionner totalement en circuit fermé, mais nous devons nous en rapprocher.»

Des microplastiques dans les champs

Plusieurs études sur le plastique dans les terres agricoles ont été menées ces dernières années, notamment par Agroscope et le laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche EMPA. On estime qu’environ 16000 tonnes de plastique sont introduites chaque année dans les champs du pays à cause de déchets sauvages, d’engrais à base de compost, ainsi que de son application directe. Cette dernière catégorie comprend les films d’ensilage – entre 6000 et 8000 tonnes par an – et de paillage. «Ces données sont basées sur des estimations et non sur des valeurs effectivement mesurées, précise Thomas Bucheli, chercheur chez Agroscope. Elles doivent être interprétées avec prudence.» D’après ces travaux, environ 160 tonnes de plastique restent dans les sols agricoles chaque année, sous forme de fragments, de films ou de fibres, conduisant à une concentration maximale qui pourrait atteindre 0,01 à 0,02%. «Sachant que les effets néfastes sur les organismes du sol n’ont été observés jusqu’à présent qu’à partir d’une teneur en plastique de 0,1%, il n’y a aucun risque de ce point de vue», remarque le spécialiste.

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