«Le monde agricole est davantage exposé aux situations conflictuelles»
Pour commencer, pouvez-vous rappeler le principe de la médiation?
Il s’agit d’un mode alternatif de résolution des conflits. L’approche repose sur des principes éthiques, dont les plus fondamentaux, pour le médiateur, sont la neutralité, la confidentialité et la «multipartialité». Cela signifie que l’intervenant vise à un équilibre juste dans son attention portée à chacune des personnes impliquées, qu’il ne donne jamais son avis sur la situation et n’entretient évidemment aucun conflit d’intérêts avec l’une ou l’autre des parties. Le médiateur s’occupe du lien entre les personnes, mais n’est ni un juriste ni un thérapeute. Il doit être formé et reconnu par la Fédération suisse de médiation.
Quand et comment l’association Hofkonflikt et son antenne romande, Conflit rural, ont-elles vu le jour?
Hofkonflikt a été fondée en 2013 et s’est inspirée d’une structure similaire créée plusieurs années auparavant en Autriche. En Suisse, l’association compte vingt-cinq médiateurs, dont quatre du côté romand. Nous travaillons tous comme indépendants. Pour ma part, je gère trois ou quatre situations par année, ce qui est peu. Cette approche demeure encore méconnue dans le milieu rural, et pour beaucoup d’agriculteurs c’est une démarche pleine d’enjeux. Parce que cela matérialise le conflit, qui est souvent perçu comme une certaine forme d’échec.
À quel moment fait-on appel à vous?
Les gens nous sollicitent lorsqu’ils sont en crise et qu’ils ont besoin d’un «tiers facilitateur». Car si l’objectif de la médiation est d’aboutir à une solution, il vise en premier lieu à favoriser la restauration du dialogue et d’un minimum de confiance entre les personnes concernées.
Bio express
Après dix-sept ans d’expérience dans les ressources humaines, Sophie Crisinel s’est réorientée dans le domaine de la médiation. Depuis 2018 et l’obtention d’un DAS, elle travaille comme indépendante au sein de l’association Réseau médiation dans l’espace rural à côté de son activité principale de responsable de l’Espace Écoute & Médiation à l’Hôpital Riviera-Chablais de Rennaz (VD).
On imagine que si les deux parties sont disposées à venir vous voir, c’est qu’elles ont déjà fait un bout de chemin, non?
Cela dépend des situations. Je suis parfois contactée par un tiers qui est témoin ou victime d’un conflit entre deux proches, par exemple. Cela dit, le plus souvent, les gens concernés sont effectivement ouverts à un dialogue, mais ont besoin d’aide pour le renouer. Généralement, le simple fait de se réunir en terrain neutre, de se parler et d’écouter autrement, de communiquer différemment qu’habituellement, désamorce déjà une partie des problèmes.
Quels types de cas liés au monde agricole avez-vous déjà eu à traiter?
Les tensions peuvent survenir au moment de la remise d’une exploitation, lorsque le successeur souhaite réorienter les activités de la ferme. Parfois, il s’agit d’un différend avec un paysan voisin ou d’un litige financier avec un collègue. L’argent est souvent un détonateur. Notre association est notamment intervenue afin d’aider deux agriculteurs dont l’un avait entamé une action judiciaire contre l’autre. Dans ce cas, c’est l’homme de loi saisi qui nous a contactés dans le but de leur éviter des frais de justice coûteux et des procédures très longues.
Enfin, le cas de figure le plus répandu concerne les difficultés relationnelles au sein de la famille et donc aussi dans l’entreprise. Je me souviens par exemple de cette femme qui s’était adressée à moi pour tenter d’apaiser les choses entre son mari et leur fils. Elle m’avait expliqué avoir fait elle-même ce travail de «médiation» un certain temps, mais sans parvenir à calmer la situation. Les choses empiraient et l’ambiance à la maison était devenue intenable. Il est fréquent que cela soit un membre de l’entourage qui se tourne vers nous, parce qu’il est en souffrance et ne sait plus quoi faire.
Comment la prise en charge se déroule-t-elle?
Les rendez-vous ont lieu dans un espace neutre. Lorsque nous sommes sollicités par une tierce personne, nous commençons par la rencontrer pour l’écouter et lui permettre de «vider son sac». Puis nous discutons avec elle de la suite à donner et l’invitons à informer les principaux concernés de sa démarche si elle ne l’a pas déjà fait. Par principe, nous ne prenons pas l’initiative de les contacter, c’est à eux de le faire. S’ils acceptent de nous appeler, nous les recevons alors chacun individuellement. Ensuite a lieu la première séance commune entre les personnes directement impliquées par la situation difficile ou conflictuelle, pour autant qu’elles soient d’accord de se rencontrer.
Quels sont les coûts d’un tel accompagnement?
Une séance est facturée 150 francs l’heure, respectivement 225 francs en comédiation, sachant qu’elle peut durer plus d’une heure. Ce sont les personnes participant au processus qui fixent les objectifs et le nombre de séances. Et il faut généralement compter trois ou quatre rendez-vous, même s’il est difficile d’établir véritablement une moyenne.
Les membres de votre association sont-ils eux-mêmes issus du monde agricole?
Nous avons tous un lien particulier avec le milieu. C’est un atout, car le fait de comprendre leurs problématiques peut rassurer les gens qui font appel à nous. Mais un médiateur n’a pas nécessairement besoin d’être un fin connaisseur du monde paysan. Nous sommes formés pour intervenir dans toutes les situations et notre démarche reste fondamentalement la même, quel que soit l’environnement.
Le milieu agricole constitue-t-il un terrain favorable aux tensions? Quelles difficultés particulières observez-vous?
Je constate beaucoup de solitude. On dit parfois que les agriculteurs sont des taiseux. Je ne pense pas qu’ils soient plus nombreux dans le monde rural qu’ailleurs. En revanche, la nature de leur activité et les aspects tels que la concurrence qu’il peut y avoir entre collègues, le travail en famille, la pression à la production et les engagements financiers les exposent peut-être davantage aux situations conflictuelles. Ils sont également beaucoup à ne plus comprendre ce que veulent les consommateurs. J’ai entendu un jeune qui expliquait à son père vouloir faire différemment afin de répondre aux attentes de la population. Certaines images négatives du métier, comme celle du «paysan pollueur» n’est pas toujours facile à vivre pour eux.
+ d’infos
www.conflit-rural.ch
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