Ces pionniers cultivent des amandes en Haut-Valais
Les températures et le soleil écrasent l’herbe sèche qui dore sous des arbres verdoyants, dans lesquels on aperçoit çà et là mûrir des fruits duveteux d’un vert tendre. Penché vers un arbuste, un homme touche du bout des doigts le velours des drupes pour vérifier qu’elles résistent bien à la légère pression qu’il exerce, avant de faire une pause et de contempler le fond de vallée qui s’offre à lui. Depuis ce verger perché à flanc de coteau, au milieu de la rocaille, le paysage est à couper le souffle. Nous sommes à Törbel, dans le Milibach intérieur, à l’entrée du Mattertal. Cette région, située à une altitude moyenne de 940 m, est la plus sèche de Suisse.
Pas peur de la sécheresse
Stefan Germann s’est installé dans le village avec sa famille il y a vingt-cinq ans. Pour ce jardinier-paysagiste passionné par l’arboriculture, le terrain nouvellement acquis est alors une zone d’expérimentation. Entre les légumes, les arbres fruitiers et les baies, il décide de planter des amandiers, d’importation allemande tout d’abord, puis des variétés locales originaires de Sierre et de Sion, qu’il n’hésite pas à greffer sur des porte-greffes adaptés. «J’ai fait des tests sans savoir si ça allait fonctionner, raconte-t-il. D’ailleurs, les premières années, je n’ai rien eu.» Aujourd’hui, sa récolte lui permet d’être autosuffisant en oléagineux et de vendre le surplus aux amis et aux habitants de la localité.
Caractérisé par sa préférence pour les sols pauvres, Prunus dulcis nécessite peu d’arrosage, même en période de sécheresse intense. «Les arbres ont des racines très profondes, qui puisent l’eau dans le sol. Ils peuvent rester verts même quand la végétation alentour est brûlée par le soleil», explique Stefan Germann. Issu de la famille des rosacées, comme le pêcher ou le prunier, il dépend des abeilles pour la pollinisation de ses fleurs. Ces dernières s’épanouissent sur les branches à partir de mi-mars, pour les variétés précoces, jusqu’à fin avril, pour les variétés plus tardives. «La floraison ne garantit pas les fruits.
Il y a des arbres qui ne donnent rien, mais qui fleurissent merveilleusement chaque année», expique l’arboriculteur. Les amandes ont une longue période de croissance et, en altitude, la saison est généralement trop courte pour permettre une maturité totale du fruit avant la récolte. «Impossible d’attendre que le fruit tombe de l’arbre en le secouant, comme on le fait dans les pays méditerranéens. Nous devons tout cueillir à la main, dans un court laps de temps.»
En chiffres
Environ 70 arbres sur le domaine d’Ursula et Stefan Germann.
25 variétés d’amandiers.
2 hectares cultivés sur une surface totale de 5 hectares.
940 mètres d’altitude.
100 ans, l’âge que peuvent atteindre les amandiers.
2 à 3 jours de récolte par an.
Sensible aux champignons
Dès la mi-septembre, les agriculteurs se mettent à l’ouvrage. Les amandes sont ensuite placées avec leurs coques sur une maille à l’air libre, pour une durée d’un mois, avant d’être ouvertes au fur et à mesure des demandes et des besoins. En hiver, les arbres sont taillés pour remplacer le bois usé, favoriser de nouvelles pousses et apporter de la lumière et de l’air dans la couronne.Si elle requiert peu d’entretien, la culture des amandiers est cependant une tâche délicate. Beaucoup de variétés sont facilement menacées par les gelées tardives, même si les bourgeons, tout comme l’arbre, ont une certaine tolérance au froid. L’amandier est assez sensible aux maladies fongiques, comme la moniliose. «Heureusement, le climat sec de la région et la quasi-absence de brouillard limitent le développement fongique», note Stefan Germann.
Pour lutter contre les champignons si la pression s’avère trop forte, l’agriculteur pulvérise dans la couronne des arbres des micro-organismes efficaces, un mélange de bactéries lactiques, de levures et de bactéries photosynthétiques. Parmi les facteurs qui peuvent conduire à la chute de fruits immatures, la pression de la faune: grand amateur d’amandes, le geai sévit dans les cultures. Après avoir fait un trou dans la coquille des variétés à peau douce, il en retire le noyau, ce qui force à opérer une récolte anticipée. «On ne peut pas toujours lutter, philosophe le producteur. Contre le geai, par exemple, il n’y a pas grand-chose à faire sinon partager, coopérer, et comprendre ce que la nature souhaite nous dire.» Aujourd’hui, ce qui importe au cultivateur, c’est la transmission de ses connaissances et du savoir-faire accumulé au fil des ans, ainsi que la préservation des variétés locales valaisannes. «C’est une passion plus qu’une source fiable de revenu, concède-t-il. Mais cela me permet de contribuer à l’enrichissement de nos paysages.»
Des amandes plutôt que des cerises?
Avec le changement climatique, les amandiers pourraient bien prendre la succession des cerisiers dans le Jura soleurois et bâlois. En Suisse, une vingtaine d’exploitations cultivent déjà ce fruit à coque, toutes à une échelle très modeste. Non soumis aux problématiques locales les plus importantes, comme l’attaque des fruits par la drosophile du cerisier, qui ravage actuellement les vergers, les amandiers constituent une alternative intéressante pour les vergers hautes tiges. Outre l’intérêt agricole, l’amande suisse doit toutefois correspondre au budget que le consommateur est prêt à y consacrer.
Pour l’heure, c’est là que le bât blesse: même avec une optimisation de tous les paramètres de culture, cet oléagineux restera toujours plus onéreux que ses cousins d’importation. Afin d’évaluer son potentiel économique et agricole et de poser les premiers jalons d’une étude stable du marché, Agroscope étudie depuis le printemps 2020 une vingtaine de variétés de différentes provenances (Italie, Allemagne, France, Espagne, Hongrie, Californie et Suisse) implantées au sein d’un verger expérimental à Wintersingen (BL). Dans leur coin de paradis, Stefan et Ursula Germann participent à cette recherche.
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