Quand l'heure de l'apéro sonne, le cor résonne dans les buvettes vaudoises

Depuis dix ans, le groupe amateur Amicor se retrouve chaque vendredi dans un alpage différent pour répéter, pour le plus grand plaisir des promeneurs et des vaches.
18 août 2025 Lila Erard
© Sigfredo Haro
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Sigfredo Haro
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Un troupeau broute tranquillement dans un pâturage verdoyant au-dessus du col du Mollendruz (VD). Soudain, un son grave et velouté retentit au loin, faisant lever le museau du bétail, qui entame une procession vers la buvette d’alpage Les Croisettes, quelques centaines de mètres plus bas. Sur la terrasse de l’établissement, six joueurs de cor des Alpes en chemise edelweiss s’adonnent à une répétition, dos au vent.

«Les vaches s’approchent toujours lorsque nous jouons. Elles sont curieuses. Ce n’est pas étonnant, car ces instruments étaient autrefois utilisés pour appeler les bêtes et communiquer à distance dans les montagnes», racontent les musiciens d’une même voix, en reprenant leur souffle.

Jouer dehors tout l’été

Depuis près de dix ans, le groupe amateur Amicor se retrouve chaque vendredi, qu’il pleuve ou qu’il vente, à l’heure de l’apéro. «On trouve toujours un endroit pour s’entraîner, que ce soit un appartement vide, un garage ou une salle communale. Il faut juste qu’il y ait assez de place.»

Durant la belle saison, son terrain de jeu favori reste les alpages du Jura vaudois, dans lesquelles il se réunit de juin à septembre. «Souvent, on décide la veille où on va. Notre organisation est plutôt décontractée. On arrive à s’y tenir, même si on n’est pas tous très ponctuels», s’esclaffe Georges Desponds, corniste depuis plus de vingt ans, en accordant son instrument en fa.

Un état d’esprit avant tout

Pour faire sonner les harmonies, les six mélomanes jouent à trois voix. «Plus on pince les lèvres, plus le son est aigu. La première fois que j’ai soufflé dedans, c’était chaotique», se rappelle cet ex-agriculteur, qui s’est longtemps entraîné dans le hangar de sa ferme. «C’est sûr qu’il faut régulièrement pratiquer pour garder la gueule au chaud», image son collègue André Buzzi, habitant de Yens (VD), qui précise que le groupe se produit aussi dans des EMS, hôpitaux et garderies.

À sa droite, Pierre-André Tschantz, forgeron et ex-fabriquant de toupins, propose de reprendre l’un des vingt morceaux de leur répertoire traditionnel, en débutant par le Ranz des vaches. «Le cor des Alpes, c’est une philosophie, un état d’esprit. Il n’y a pas forcément besoin de savoir lire la musique. On en fait avec le cœur», déclare le septuagénaire, qui a même déjà joué sur la muraille de Chine. «Quand on est là-haut, je peux vous dire qu’on se sent suisse.»

En version carbone

Après quelques minutes de concert improvisé, il est temps de faire une pause. «On en a besoin. Sinon, gare aux crampes à la bouche!» lance Georges Desponds. À ses côtés, Marie Devenoge, ancienne paysanne et droguiste, en profite pour présenter son cor télescopique particulier, mesurant plus de trois mètres de long. Construit en fibres de carbone, contrairement aux classiques versions en bois de ses collègues, il se plie aisément tout en étant particulièrement léger, dit-elle en faisant une démonstration.

Cet instrument, c’est une philosophie, un état d’esprit. Il n’y a pas forcément besoin de savoir lire la musique.

«C’est super, car je peux le transporter facilement. Parfois, je grimpe seule en montagne pour en jouer. Quand on ferme les yeux et qu’on écoute ce son vibrant, on sent le vrai. Ce sont nos racines», affirme-t-elle en admirant la Dent-de-Vaulion au loin. Trêve de rêveries: il faut se remettre au boulot. «On en souffle encore quelques-unes? Le public arrive.»

Convivialité au sommet

Car ce midi, les vaches ne sont pas les seules à débarquer au doux son des tiges courbées. Plus d’une septantaine de personnes sont attendues pour manger. «Il y a une sortie de boîte d’une entreprise horlogère et quelques promeneurs. Ils vont être aux anges!» se réjouit le gérant de la buvette Julien Bellon, qui a déjà accueilli plusieurs fois le groupe.

Toute juste arrivée d’une balade, une randonneuse sort son smartphone pour prendre une photo de la scène. «Je suis venue avec ma filleule belge pour lui faire découvrir le pays, elle est servie! Il n’y a pas plus typique», confie la Lausannoise, en applaudissant chaleureusement.

Les curieux veulent tester

Christian Conod, l’un des cornistes, est en joie. «J’ai acheté mon cor pendant le confinement pour pouvoir faire de la musique en extérieur et voir du monde. Ces moments de partage sont les meilleurs. J’aime l’ambiance, la convivialité et la troisième mi-temps bien sûr!» s’exclame le quadragénaire.

Justement, l’heure est venue de siroter un apéritif offert par la maison et de manger une morce sur la terrasse ensoleillée, tout en faisant essayer l’imposant instrument aux curieux. «Ce qui nous fait le plus plaisir, c’est de faire plaisir», assurent les musiciens à l’unisson.

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