Pain à 99 centimes: les boulangers fâchés, mais peu inquiets
En voilà une miche de pain qui ne met pas tout le monde d’accord. «C’est du jamais-vu!» fanfaronne la publicité pour le produit. En effet, depuis quelques semaines, les pains bis et mi-blancs vendus à Aldi à 99 centimes ont mis les boulangers de toute la Suisse en colère.
«Ce qui est choquant, ce n’est pas le prix finalement, mais qu’ils prétendent qu’il est possible de vendre un pain si bon marché, explique Yves Girard, président des Artisans boulangers pâtissiers et confiseurs vaudois (ABPCV). Et ce, sans faire mention d’où viennent les frais d’exploitation de l’entreprise, ou de production du pain. Parce que quoi qu’on fasse, il est impossible de produire une livre de pain mi-blanc à 99 centimes en tenant compte de l’intégralité des charges de l’entreprise.»
Deux mondes
Le 21 octobre dernier, l’ABPCV publiait sa réponse aux pratiques de Lidl, sous forme d’un graphique expliquant l’origine des coûts de production d’un pain standard. Les salaires, la farine et les frais de vente prennent déjà 57% de l’addition. S’ajoutent les frais administratifs et d’exploitation, la TVA, les emballages, l’énergie, les amortissements ou les frais engendrés par les invendus. «Le pain artisanal n’est pas un produit d’appel, mais le résultat d’un savoir-faire, d’un engagement, et d’un coût bien réel», assène le communiqué.
«Le pain mi-blanc a une rentabilité très limitée, admet Yves Girard. Mais il y aura une ribambelle d’autres produits un peu plus sophistiqués, avec des graines, par exemple.» C’est le cas à Lucens, dans la Broye vaudoise, où la boulangerie La Sarrasine propose pains, pâtisseries, confiseries et produits de snacking comme sandwichs ou canapés. Installés depuis 1999, Simon et Fabienne Nicod ne se sentent pas particulièrement menacés par les prix bradés d’Aldi, d’autant plus qu’avant de descendre à 99 centimes, le pain s’y vendait à 1,20 franc.
Des taxes supplémentaires?
Un prix déjà trop bas selon Fabienne Germanier Nicod: «On ne joue plus dans la même catégorie. On n’est pas dans le même monde, on n’a pas les mêmes idées. Nous, ce que nous voulons mettre en avant, ce sont nos produits du terroir, de qualité, issus de longues fermentations et avec du levain.» Même avec un pain mi-blanc à 3,50 fr., un prix plutôt bas qui s’adapte à une population aux moyens plus limités, la concurrence ne les met pas en danger. Ici, avec leur vingtaine d’employés, ce sont les salaires qui happent la plus grande partie du prix de production.
Simon Nicod entrevoit une solution qui rendrait service à la filière, mais également aux autres producteurs artisanaux: «Il faudrait que les produits boulangers importés soient soumis à des taxes douanières. Les céréales sont taxées, mais pas les produits transformés. Et eux ne sont pas soumis aux mêmes régulations quant à la qualité de leurs ingrédients.» Il est cependant catégorique: le soutien des différents partenaires, le Canton de Vaud en tête, par le biais des labels comme «VAUD CERTIFIÉ D’ICI – regio.garantie», est crucial.
Transparence et éducation
Il n’empêche que les habitudes des consommateurs ont changé, et les clients de la boulangerie La Sarrasine ont moins de choix pour aller faire leurs courses que les Lausannois. Il s’agit donc d’éduquer le consommateur à faire son choix de produit de manière informée, et c’est le but du graphique préparé par l’ABPCV, que les artisans sont encouragés à afficher dans leurs vitrines.
Aldi a très vite été suivi par ses concurrents directs Lidl et Denner dans sa baisse de prix. La démarche de ces «hard discounters», qui consiste à compenser les pertes avec les marges réalisées sur d’autres produits, est hors de portée des artisans boulangers. Quant aux deux géants orange, ils ont également dû suivre la tendance, mais Yves Girard nuance: «Eux, au moins, précisent clairement qu’ils vont prendre sur leurs marges.» Dans un article du quotidien ArcInfo, la Coop a en effet promis que les conséquences d’une telle baisse ne se feraient pas sentir chez les producteurs.
