En Lavaux, l'héritage culturel et matériel se conjugue aussi au féminin
Elles étaient cinq, le week-end dernier, à accueillir visiteuses et visiteurs venus en nombre dans leur antre à Lavaux: deux vigneronnes, une forgeronne, une artiste et une présidente de société de sauvetage. Toutes ont répondu présentes à l’appel de l’association Lavaux patrimoine mondial (LPm) qui cherchait des figures féminines locales à mettre en lumière lors des Journées du matrimoine, les 19 et 20 septembre.
Elles se sont facilement laissé convaincre d’ouvrir leur porte pour parler de leur passion, de leur vie et de leur héritage: celui qu’elles ont parfois reçu, mais surtout celui qu’elles laisseront derrière elles, que ce soit à leur famille, à leur village ou à toute la région.
Une idée française
Mais reprenons depuis le début: le matrimoine, c’est quoi? «Peu de personnes connaissent en effet ce terme. Il s’agit des biens hérités de la mère. Un terme qui est ensuite tombé dans l’oubli avant de revenir sur le devant de la scène, il y a quelques années, pour redéfinir le discours sur l’héritage, matériel et culturel, transmis par les femmes», explique Jeanne Corthay, médiatrice culturelle dans l’association LPm.
L’association participait pour la première fois aux Journées du matrimoine. En 2015, l’idée a émergé en France d’organiser des journées dédiées au matrimoine, comme cela se fait pour le patrimoine. Plusieurs initiatives ont donc essaimé en France puis en Belgique. La première initiative suisse sur le matrimoine a été réalisée par la Ville de Genève, en 2021, qui voulait «relayer une vision mixte et égalitaire de l’héritage» et qui propose désormais un programme axé sur les femmes, lors des journées européennes du patrimoine.
«Rééquilibrer la narration»
En début d’année, ce concept a interpellé l’équipe de l’association LPm. «L’histoire de Lavaux est souvent abordée sous l’aspect masculin», souligne Jeanne Corthay. «Nous avons donc cherché des informations sur l’héritage des femmes pour rééquilibrer la narration.» Le résultat a pris la forme de quatre rendez-vous au départ de Rivaz, Cully, Puidoux et Chardonne – trois balades dans les vignes et une visite de forge – qui se sont terminés par une discussion avec une figure féminine locale. «Nous ne voulions pas seulement replacer le travail des femmes dans un contexte historique, mais nous souhaitions surtout leur donner la parole», précise Jeanne Corthay.
Du côté de l’histoire, les guides ont mis en évidence une distribution très genrée des tâches à la vigne. Les femmes ont de tout temps été sollicitées pour des travaux répétitifs – comme couper le raisin ou effeuiller – alors que les hommes effectuaient les travaux nécessitant plus de force, comme porter le raisin. Et la différence se matérialisait évidemment au niveau du salaire, qui était bien moins élevé pour les femmes.
Avec l’émancipation féminine des années soixante-dix, les femmes ont fait leur entrée dans les filières de formation vitivinicole. «La première femme est entrée à l’école de Changins (anciennement Montagibert) en 1954. Mais en 1993, Anne-Catherine Ruchonnet était la seule femme de sa volée», relève Jeanne Corthay, pour marquer la lenteur de l’évolution.
Un hommage à la mère et la grand-mère
L’une des deux vigneronnes participant à ces journées, Christelle Conne, a expliqué que si les femmes occupent maintenant tous les postes à la vigne, il subsiste certaines différences: «Ce sont essentiellement des femmes qui coupent, non pas parce qu’elles sont moins qualifiées, mais parce qu’elles sont plus efficaces. Elles coupent plus vite que les hommes!»
Sur la question de l’héritage, Christelle Conne se sent particulièrement concernée, puisqu’elle qui a repris le domaine Cave Champ de clos à Chexbres, exploité par ses parents et ses grands-parents avant eux. Samedi, elle a présenté son travail en cave, mais aussi rendu hommage à sa mère et à sa grand-mère: «Toutes deux ont toujours travaillé sur le domaine, que ce soit à la vigne ou au bureau. Mais jamais on n’a parlé de leur contribution au succès du domaine.» Voilà qui est chose faite, grâce aux journées du matrimoine.
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